Émile a dix-huit ans, un âge où tout semble possible et où l’avenir est à portée de main. Un âge où l’on aime avec passion et avec folie peut-être. Et lui est amoureux de Stefan, un homme d’affaires quinquagénaire avec qui il entretient une relation depuis quelques mois, dans le secret morose d’une chambre anonyme.
Sous une pluie battante, l’adolescent monte dans un taxi direction l’Hôtel Royal, comme tous les jeudis. Il emporte avec lui sa vie, qui tient dans trois sacs plastiques. Mais s’il voyage bien léger, il a pourtant le cœur plein d’espoir.
Car aujourd’hui, il est décidé d’avancer, d’aller plus loin avec son amant. Il va se livrer, se mettre à nu réellement. Lui qui ne veut plus n’être qu’un corps de passage, qui souhaite enfin trouver la place qu’il mérite : celle d’une personne légitime, entière, aimée et non plus cachée. Il sait que leur relation peut s’épanouir en pleine lumière, sans être salie par la monétisation du sexe.
Sûr de lui et de la réciprocité de ses sentiments et de ses envies, Émile se confie tout d’abord à son ami Gustave, un jeune tout juste sorti de l’adolescence et qui se prostitue également. La conversation devient rapidement tumultueuse, opposant le cœur et la raison, l’espoir et la désillusion.
Puis arrive Stefan, et avec lui le naufrage de l’esprit. Ils se retrouvent, s’enlacent et se mêlent. Ensuite, les mots affluent et se déversent, mordent et abiment. Car si les deux hommes s’aiment, leurs âges et leurs situations sont bien différent·es, créant des attentes contraires et un désenchantement amer.
Théâtre des émotions humaines, Toute une vie dans des sacs en plastique est un huis clos magistral et dramatique, au cours duquel se déploie la violence des sentiments. On assiste à un échange douloureux, où Émile se lance à corps perdu dans une ultime bataille, se voilant la face en luttant contre une déception amoureuse de plus, et peut-être de trop…
La virtuosité des dialogues est tout aussi implacable que poétique. Les mots et les pensées fusent, s’enroulent comme des rubans sinueux dans les esprits des protagonistes, les liant et les emprisonnant tour à tour.
Quant aux images, elles débordent, s’étirent et dansent, habillées de couleurs vives et presque acides. Les corps mouvants et la découpe des scènes parviennent à capturer et à véhiculer les sensations tortueuses traversées par Émile. Ainsi, honte et colère, souffrance et déni heurtent une passion si brulante qu’elle en devient douloureuse.
Ce roman graphique aborde de manière frontale et presque viscérale l’univers tabou de la prostitution masculine, hantée par des jugements homophobes et faussée par la manipulation pernicieuse et les jeux de pouvoir. Portant un regard implacable sur un sujet de société à la réalité triste, Toute une vie dans des sacs en plastique possède une beauté crue, à vif qui sonde et marque.
Les Aventuriers de l’étrange
128 pages
Caroline