Depuis plusieurs années maintenant, on assiste à un changement des mentalités vis à vis de la campagne, devenue soudainement le nouvel Eldorado pour des gens gavés de bruits et de fureur qui aspirent désormais à plus de sérénité et à une meilleure qualité de vie. En prise avec son époque, le polar français prend à son tour la poudre d’escampette via cette nouvelle mouvance dite du « rural noir » dont Cyril Herry, à travers la collection Territori qu’il a fondé et dirige, en est l’instigateur. A titre personnel, il fait lui aussi partie des néo-ruraux et impulse à son œuvre un cheminement analogue. Au vieux Lille de Lille aux mortes a succédé le hameau Les Fades dans L’Héritage Werther pour arriver aujourd’hui àla yourte sise au milieu des bois d’Alex autour de laquelle se cristallisent les destinées de Hans et de Teresa.
Pour Teresa, le départ de Stan a agi comme un déclic. Après 10 années passées à vivre dans le mensonge, elle décide de dire toute la vérité à son fils Hans. Non, Stan n’est pas son père. Son vrai père se prénomme Alex et vit depuis quelques années au lieu-dit de l’Étang froid près du village de Layenne. Elle estime qu’il est désormais temps pour lui de faire sa connaissance.
“La forêt n’est le territoire de personne.”
Pour ce troisième roman, Cyril Herry orchestre un récit à deux voix. A travers Hans, il déroule un récit de l’enfance avec tout ce que cela présuppose de naïveté et de dureté. Déçu par Stan, un homme froid qui n’hésitait pas à se moquer de lui et auquel il préférait Jean-Loïc, le colocataire, Hans se voit offrir une nouvelle chance de nouer enfin une relation père-fils idéale. Dès lors, à mesure qu’il s’appropriece nouvel environnement, Hans tend à se rapprocher de ce père qu’il n’a jamais connu (au point de s’imaginer le voir l’observant au loin) tout en s’éloignant sciemment de sa mère dont il considère la présence comme un obstacle à son bonheur. Il en est persuadé, Alex n’osera pas l’approcher tant qu’elle sera là. Il ne suffit que de quelques pages pour que Hans se déleste de son statut de victime sacrifiée sur l’autel de considérations d’adultes et devienne cet être dur, empli de rancœurs à l’égard d’une mère qui a comme seul tort d’avoir cherché à le protéger. Loin de tout angélisme, Cyril Herry donne une vision très juste de l’enfance et de ses tourments. A tel point qu’il devient facile de prendre Hans en grippeà force de bouderies et d’émancipation malvenue.
En parallèle, l’écrivain développe un récit plus introspectif à la suite de Teresa. Chacune des découvertes qu’elle effectue à l’intérieur de la yourte la renvoie à un passé désormais révolu mais au souvenir tenace. Instantanément, elle retrouve ses habitudes anciennes et renoue avec les pensées et les sentiments d’un homme avec lequel elle a vécu une folle passion. Le départ – la fuite – d’Alex a été un choc qui a engendré en elle une profonde blessure. Elle a néanmoins tenté de s’en prémunir en coupant définitivement les ponts, ne répondant pas à ses nombreux courriers. En filigrane, on comprend que son histoire avec Stan n’était qu’un pis-aller, une manière d’oublier son chagrin tout en offrant à son fils l’illusion d’une vie familiale stable. Une parenthèse de dix années qui n’a pas eu l’effet escompté. Teresa nourrit à l’égard d’Alex des sentiments contradictoires. Elle lui reproche de l’avoir abandonnée mais ne peut s’empêcher d’admirer l’idéalisme qui l’a amené à agir ainsi. Au fond, elle est toujours amoureuse et c’est cet amour qui la conduit à mettre de l’eau dans son vin et à laisser plus de libertés à Hans. Elle non plus n’a pas envie de partir.
Par la force de son écriture, Cyril Herry confère une existence à Alex sans qu’il ait besoin d’être physiquement présent. Il sert de catalyseur aux passions, quelles qu’elles soient. Son image constitue à la fois ce qui lie Teresa et Hans et ce qui contribue insidieusement à les séparer. Récit de l’intime et du souvenir, Scalp ose un hardi basculement vers le western dans sa seconde partie. Un virage périlleux qui éclaire soudain les mystères amoncelés jusque-là suivant une forme de fatalité. La bêtise humaine est sans limite et on ne peut malheureusement pas lui échapper bien longtemps.
Cadre noir – Seuil
220 pages
Bénédict