En panne d’inspiration, une jeune peintre s’isole dans un vieux manoir dans l’espoir de reconnecter avec ses pinceaux. Plancher grinçant, pièces aux angles sinistres, toiles d’araignées antédiluviennes et sombres rumeurs, sa nouvelle demeure coche toutes les cases de la maison hantée peu fréquentable. Pourtant, Rowen s’y sent bien et s’amuse même des ragots du coin en prenant l’habitude de s’adresser au fameux fantôme qui habiterait le lieu, comme s’il s’agissait d’un colocataire si discret qu’il en serait invisible. Jusqu’au jour où une voix venue des tréfonds de l’obscurité commence à lui répondre et où une forme d’encre se matérialise dans les recoins où la lumière ne va jamais.
Comics en one-shot oppressant et poétique, Celui que tu aimes dans les ténèbres revisite un classique du genre horrifique en nous plongeant dans une ambiance digne d’une nouvelle de Stephen King. Loin de la chasse aux fantômes ou d’une banale traque proie/victime, l’histoire adopte une dimension plus fouillée et complexe au travers de l’étrange relation se renforçant entre Rowen et la créature.
Car passé les premières frayeurs et le choc découlant de sa rencontre avec cette forme aux contours indistincts, la jeune femme se glisse peu à peu dans les eaux troubles d’une liaison dangereusement chimérique. Sous les traits mouvants et fuyants de son « fantôme », elle va trouver la muse qui manquait à son art et replonger dans la création effrénée d’une importante série de tableaux où elle dépeint une projection idyllique et fantasmée de ce nouvel amour.
Les semaines se transforment en mois et Rowen ne sort plus, peignant encore et encore à la lumière vacillante des bougies, le seul éclairage toléré par son sombre ami. Séduite par les attentions dont il la couvre et aveuglée par son inspiration retrouvée, elle s’isole et s’enferme sur elle-même, refusant jusqu’aux coups de fil de son agent et confident qui s’inquiète de ce repli.
Dans le secret du vieux manoir, l’étau se resserre chaque jour un peu plus… Troublée par ses propres chimères et obsédée par son processus créatif, Ro ferme les yeux sur la nature de cette rapport dévorant. S’imaginant dépendante affectivement et artistiquement de cet hôte insaisissable, elle prend conscience bien trop tard de la relation malsaine et dangereuse qui l’emprisonne et l’étouffe. Jusque là cachée dans les ombres, sa muse va faire tomber le masque et exposer son vrai visage à la lumière. Pétrie de colère et d’un besoin fiévreux d’emprise et de possession, elle revêt alors sa véritable peau : celle d’un monstre.
Le point de non-retour franchi. Pour Rowen il ne s’agit non plus d’amour illusoire, mais de survie.
Tout au long du récit, on ressent une tension de plus en plus palpable, portée par la poésie lugubre d’une trame entremêlant perversion narcissique et passion fantasmagorique. Bien plus qu’une simple histoire de fantôme, Celui que tu aimes dans les ténèbres confronte sentiments contradictoires comme le désir et l’effroi, interrogeant notre rapport au tabou et à l’indicible.
Un comics horrifique réussi, au romantisme dérangeant et au monstre incarnant parfaitement l’obscurité de l’âme humaine.
Traduit de l’anglais par Julien Di Giacomo
Urban Comics, collection Urban Indies
128 pages
Caroline