Point de contes de fées ou de récits de vie, le thème de ce nouveau livre sorti dans la toute fraîche collection Sorcières, justement, chez Cambourakis, est dans le sous-titre : Une histoirE des femmes soignantes.
Mais présentons d’abord cette nouvelle collection afin d’y voir un peu plus clair. Bien conscientes que quand même, dans le monde la violence et l’oppression ont tendance à facilement se jeter sur les femmes et pensant qu’il est important d’amener dans le débat des idées et théories féministes hors des murs des universités, les éditions Cambourakis remettent au goût du jour des textes fondateurs des mouvements et études féministes, notamment anglo-saxons. Le nom de la collection se rajoute à cette volonté de se placer comme passeuse et héritière de ces mouvements des années 70 et 80 qui voulaient rendre aux femmes leur dignité d’une part et leur place dans une société patriarcale et dominatrice qui se plaisait à les écraser, d’autre part.
Voilà pour la mise en bouche. Qu’en est-il de ce premier opus ?
Sorcières, sages-femmes et infirmières, une histoirE des femmes soignantes est à l’origine un pamphlet datant de 1973. Court et très digeste, il a pour but de revenir sur la place des femmes dans le soin et la médecine d’abord au Moyen-Âge et à la Renaissance, au moment de la mise en place de la chasse aux sorcières, puis sur la fin du XIXème siècle et le début du XXème avec la création de cursus d’études de médecine et la législation sur ces mêmes études.
On y apprendra, entre autres choses, qu’avant la chasse aux sorcières de l’Inquisition les femmes étaient bien souvent seules détentrices des savoirs médicinaux, que bien souvent et à peu près tout le temps les hommes, en mettant en place des études, plus ou moins courtes et sérieuses, de médecine, ont fait en sorte d’empêcher les femmes de les suivre. Les femmes qui soignaient étaient considérées comme des sorcières, et donc jugées en tant que telles (les études de médecine étant interdites aux femmes, vous voyez le cercle vicieux…) peu importe les résultats du traitement médical.
On y apprend également que la lutte pour la pratique médicale va devenir, aux États-Unis à la fin du XXème siècle, une question de lutte des sexes et de lutte des classes. Les sages-femmes, souvent seul accès à un service médical pour les populations pauvres vont se voir bannies des professions médicales, le soin étant réservé aux seuls médecins issus d’abord des classes hautes, puis ensuite aux hommes de ces mêmes classes ayant fréquentés les universités assermentés.
Les femmes, d’abord porteuses de ces savoirs-faire de santé vont se retrouver mises au ban par la classe masculine dominante qui veut les isoler dans leur rôle de mère protectrice, douce et attentive, mais incapable d’assumer la responsabilité du médecin au risque de trahir sa nature. La dépossession des femmes de leurs connaissances médicales, leur traque, leur assassinat/torture/silence forcé/rabaissement, selon les période, est ici mis en parallèle de l’évolution de nos sociétés occidentales, dans lesquelles les classes blanches masculines riches ont tout fait pour se réserver l’accès aux professions nobles choisis et enseignés par eux, auto-désignés détenteurs uniques et universels des connaissances nécessaires. Les professions mais tout le reste également, puisque ce sont également les plus riches et possesseurs du pouvoir (économique et politique) qui vont donner à leurs semblables les clefs pour d’autres accès à une certaine aristocratie ou en tout cas noblesse de profession et de prestige.
Soricères, sages-femmes et infirmières, pur produit de ces mouvements féministes et de réappropriation des corps des années 70, s’ouvre sur une très bienvenue introduction des deux auteures qui remet en contexte le pamphlet et le chemin parcouru depuis sa sortie. Si on peut trouver quelque passage assez amusants dans le ton, il est peu de dire que le texte se lit très facilement, tant la rédaction est pédagogique et que le contenu est on ne peu plus intéressant. À notre époque où l’on pense que l’égalité entre les sexes est chose faite, alors que l’on peut encore mettre en danger le droit à l’avortement, qu’on fait encore une différence de jugement moral entre un homme qui séduit (un don juan) et une femme qui séduit (une salope) et que l’inégalité dans le travail, le harcèlement de rue, j’en passe et des meilleures sont des choses finalement considérées comme normales, la réédition de ce texte, et derrière cette collection elle-même, tombe à point nommé pour comprendre l’évolution d’une part des combats féministes, et d’autre part l’histoire de la mise de côté et de la domination des femmes par les différentes institutions religieuses puis économiques et politiques masculines. L’exemple choisi pour ce premier opus de la place des femmes dans les soins médicinaux est à ce niveau édifiant.
On ajoute à ça un très beau livre, illustré, didactique et clair, et il n’y a plus aucune raison de s’en passer. Presque une obligation afin de mieux comprendre les thématiques féministes, particulièrement dans le domaine du soin et de s’en emparer afin de mieux combattre.
Attention, lecture mixte !
Cambourakis
121 pages (introduction d’origine et nouvelle introduction par les deux auteures, postface par Anna Colin)
Traduit par L. Lame
Marcelline