Stalker, Pique-Nique au bord du chemin, est un roman des frères Strougatski, publié en 1972.
L’histoire est simple : les extraterrestres sont arrivés sur Terre à six endroits appelés Zones puis, ils sont repartis. Et maintenant ? Treize ans après ce qui a été nommé « La Visite » les Zones sont protégées par l’Armée et plusieurs organisations internationales. Pourquoi ? A cause de leur fort taux de radioactivité et des objets abandonnés par les extraterrestres lors de leur brève visite. Et que se passe-t-il ? Des hommes bravant les interdits décident de passer dans les fameuses Zones pour les piller et les faire visiter aux braves osant les suivre.
Jusque là, le lecteur peut se demander ce qu’il y a de si original dans ce roman qui réunit de nombreux clichés de science-fiction : les extraterrestres à l’intelligence supérieure, des organisations aux buts mystérieux, des héros bandits et solitaires… On se croirait presque dans un épisode de The X-Files (dont votre humble narratrice est en réalité fan)
Ce qui fait de ce roman une merveille se trouve dans la manière de traiter de ces sujets. Comme vous avez pu le deviner, les deux auteurs sont russes et présentent une vision non-hollywoodienne du scénario de l’invasion d’extraterrestres. La première chose réside dans l’anthropocentrisme (et votre humble narratrice n’a pas de rhume) : en effet, les fameux bonhommes verts arrivent sur Terre mais ne semblent pas s’intéresser plus que cela à ce qu’ils y trouvent puisqu’ils n’y restent que quelques mois avant de repartir. Cette perspective fait d’ailleurs totalement sens : pourquoi une civilisation beaucoup plus avancée s’attarderait dans un tel endroit ? (On pourrait avancer l’argument de la colonisation qui est brièvement abordé et rapidement rejeté) Les humains sont inintéressants aux yeux des extraterrestres. Le sous-titre du roman fait d’ailleurs référence à La Visite : il y a une comparaison brillante entre un groupe en pique-nique et la fameuse invasion extraterrestre qui fait tant trembler nos confrères américains. La Terre est une escale, les hommes des fourmis qui ont à se contenter des miettes laissées par les pique-niqueurs.
L’autre originalité du roman repose dans la narration : le roman est intégralement à la première personne, mis à part l’interview du scientifique qui sert de prologue. Le point de vue du stalker est rafraîchissant et empêche le lecteur de tomber dans le cliché du truand-qui-est-en-réalité-un-héros-en-cachette que Lord Byron savait faire mais qui a perdu de son originalité depuis.
Le stalker, Redrick Shouhart, surnommé Red à cause de sa chevelure, est cependant un personnage attachant. Le monologue intérieur permet au lecteur d’assister à une toute nouvelle perspective sur la Visite : celle du profit, du marché noir, du pillage. On imagine sans mal Red piller des catacombes ou des pyramides. Le personnage est très picaresque et son côté roublard presque comique est le conduit parfait pour l’absurdité de la situation. En effet, Red n’est pas dupe des discours officiels : l’humanité reconnaissante, la curiosité scientifique, la religion le laissent de sang froid et il n’hésite pas à les attaquer avec un humour mordant. La seule valeur qu’il semble reconnaître est l’argent. Egoïste ? Pas tout à fait : le lecteur découvre en effet que Red a une femme et une fille a sa charge. Cette dernière a été affectée étrangement par la radioactivité apportée par La Visite. Un détail presque prophétique quand on compare les dates de la catastrophe de Chernobyle avec celle de la publication du roman. D’ailleurs, le jeu-vidéo adapté du roman porte le titre révélateur de S.T.A.LK.E.R : l’Ombre de Chernobyle, parce qu’on garde la métaphore ou pas, il faut choisir.
Red est accompagné par deux scientifiques, Kirill et Tender. Kirill n’est pas intéressé par l’argent : ce qui le pousse, c’est sa curiosité scientifique. Il analyse avec frustration les objets abandonnés par les extraterrestres. Son incompréhension face à cette technologie aussi avancée donne lieu à un questionnement passionnant sur la place de l’homme dans l’univers. Une nouvelle comparaison tout à fait brillante est offerte à ce sujet : le scientifique est comparé à un chien qui joue avec une balle de tennis sans comprendre les règles de tennis anglais. Et pourtant, les scientifiques sont les êtres privilégiés de l’histoire car : « eux, au moins ils comprennent à quel point ils ne comprennent rien. »
Mais vous n’êtes pas au bout de vos surprises car l’objet de la quête est bientôt révélé : il existe dans la Zone, selon des rumeurs, une boule lumineuse capable d’exaucer votre désir le plus cher. La perspective serait attirante si vous n’avez jamais entendu l’adage anglais : « Be careful with what you wish for » et Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. Ici encore, l’existence incertaine de cette boule lumineuse soulève de nombreuses questions sur la nature humaine et le désir.
Votre humble narratrice voudrait vous en dire plus mais ce serait vous voler une fin qui vaut la lecture entière.
Sachez seulement que vous vous apprêtez à lire de la science-fiction plutôt noire avec le délicieux mais amer cocktail de l’horreur et de l’absurde. La Terre est vue comme un monde vide et angoissant après la venue d’un Dieu indifférent. Les questions abordées ne trouvent pas de réponses dans un système moral bien établi et le lecteur n’est jamais rassuré. Ce sont les questions que vous vous posez et dont vous ne trouvez pas les réponses.
Concernant la traduction de Svetlana Delmotte, il est nécessaire de préciser qu’elle est magnifique, fluide et sans accroche. Après, peut-être que des personnes parlant le russe y trouveront quelque chose à redire mais à mon humble avis, c’est une très belle traduction d’un texte qui doit être magnifique en russe.
Si vous aimez le cinéma qui fait autre chose qu’exploser, je vous conseille également l’adaptation d’Andreï Tarkovski qui est également russe. Ce film n’est pas une adaptation totalement fidèle mais il conserve ce sens d’absurde et de questionnement métaphysique. Il s’agit du film le plus abordable du réalisateur et chaque image est sublime. Je ne peux vraiment pas vous recommander ce film avec assez d’enthousiasme.
Folio
320 pages
Anne-Victoire