Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde – Robert Louis Stevenson

Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde (L’Etrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde est le titre en français) est un court roman (ce que les Anglais appellent ‘novella’) écrit par Robert Louis Stevenson, publié en 1886.

Comme vous pouvez le constater, nous fêtons cette année les 130 ans de la publication du roman ! C’est le moment idéal pour le lire !

Première remarque : oui, le titre original n’a pas de déterminant. Il ne s’agit pas de The Strange Case… Mais bien de Strange Case… L’éditeur avait en effet demandé à Stevenson s’il n’avait pas oublié le déterminant, ce à quoi l’auteur a répondu qu’il voulait mettre les lecteurs dans le bain de l’étrange dès le début en commençant par ne pas mettre de déterminant à son titre.

Procédons au kit de survie. Vous allez avoir besoin de :

• la théorie victorienne à propos des criminels, et en particuliers les meurtriers : en effet, à l’époque, on pensait que les meurtriers étaient nés et destinés à être meurtriers parce qu’ils n’avaient pas évolués et étaient proches de l’enfant ou du singe (les victoriens avaient visiblement une vision très étrange des enfants) Cette théorie est évoquée notamment dans Dracula (tout est connecté !) par Van Helsing qui compare le vampire à un enfant. De même, M. Hyde est qualifié d’enfant et de singe à plusieurs reprises.
• de manière générale, toutes les lectures que vous avez pu faire à propos de Dracula pourront vous être utiles pour Docteur Jekyll et M. Hyde. Les deux oeuvres font en effet partie de la renaissance du gothique à la fin de l’époque victorienne. Evidement, Dracula a été écrit après Docteur Jekyll et M. Hyde et le fameux mystère de Jack l’Eventreur sépare les deux romans mais vous pourrez voir de nombreuses correspondences entre les deux oeuvres.

Vous connaissez tous l’histoire. Un respectable scientifique, Docteur Jekyll, crée une potion qui lui permet de se transformer en un autre homme, M. Hyde. Docteur Jekyll est le côté moral de M. Hyde qui est le côté corrompu, démoniaque. C’était à peu près tout ce que votre humble narratrice connaissez avant d’ouvrir l’oeuvre. De ce fait, de nombreuses surprises l’attendaient (et vous attendront également) :

• d’abord, l’histoire ne commence pas avec Docteur Jekyll et M. Hyde. L’histoire commence avec l’avocat (et ami) du Docteur Jekyll, Utterson. Ce spectateur entre dans l’histoire grâce à une autre histoire qui lui est rapportée par son ami Enfield. L’histoire que raconte Enfield met en scène M. Hyde qui renverse une petite fille et ne se retourne pas pour l’aider. Oui, vous avez bien lu, malgré le titre, M. Hyde apparait avant Docteur Jekyll qui lui-même n’intervient que plus tard dans le roman ! Docteur Jekyll et M. Hyde est un roman à tiroirs : une histoire en cache une autre qui en entraîne une autre, tout comme ces lettres qui contiennent plusieurs lettres dans le récit. A chaque fois qu’un mystère semble être clos, un nouveau apparait et entraîne le lecteur dans les tréfonds de l’étrange.
• une autre surprise pour votre humble narratrice réside dans le fait que, malgré la division plutôt extrême entre Docteur Jekyll et M. Hyde, la distinction bien / mal n’est pas si claire que cela. Le gothique repose avant tout sur la transgression des limites, le fait que les limites ne soient pas aussi claires que prévu. En effet, Docteur Jekyll avoue qu’il voulait cette division entre sa ”bonne” partie de docteur respectable et sa ”mauvaise” partie qui a toujours existé en lui sans qu’il n’ose l’avouer ou oser l’exprimer. En quelques sortes, Hyde a toujours existé en Docteur Jekyll. Même après la division, tous les désirs réprimés de Jekyll ne s’en vont pas magiquement avec M. Hyde : Jekyll ne devient pas un saint et il a souvent hâte de se transformer en M. Hyde. Ce que votre humble narratrice essaye de vous montrer, c’est que cette dualité qui semble rassurante avec d’un côté le bien et l’autre le mal, n’est pas si claire qu’on pourrait le souhaiter. Le mal est généré par le bien. La limite n’est pas claire. Dans le roman, l’horreur ne réside pas dans le fait que Hyde est un personnage repoussant et moralement mauvais, mais dans le fait que ce personnage est en réalité une partie du personnage jugé respectable. Cette distinction n’est pas seulement importante pour cette oeuvre mais pour comprendre l’hypocrisie typique de la société victorienne que vous allez retrouver dans beaucoup d’oeuvres de l’époque. Docteur Jekyll et M. Hyde l’explique parfaitement.

Votre humble narratrice a été surprise par un autre élément du texte, mais elle ne peut pas vous en dévoiler plus sans vous révéler une majeure partie de l’intrigue.

Une des raisons pour lesquelles vous n’allez pas regretter la lecture de Docteur Jekyll et M. Hyde est la poésie de l’auteur. Edgar Allan Poe a visiblement laissé son empreinte chez Robert Louis Stevenson. Non seulement Docteur Jekyll et M. Hyde s’inscrit dans la lignée du détective que Poe a créé avec Double Assassinat à la Rue Morgue en 1841, mais on y retrouve également la marque de Poe dans la prose de Stevenson. Par exemple, la maison de M. Hyde est décrite comme étant aveugle du côté où on ne trouve pas de fenêtres, or, Poe assimile souvent les fenêtres d’une maison à des yeux inquisiteurs (notamment dans La Chute de la Maison Usher)

Les descriptions de Londres en général sont impressionnantes. Londres se retrouve la scène d’un mystère monstrueux et devient monstrueuse elle-même avec ses rues comme des artères, comme des tentacules. Londres est un labyrinthe dont M. Hyde serait le Minotaure et les innocents, les tribus offerts au monstre. La cartographie est un point essentiel dans l’intrigue. On y retrouve là l’auteur de l’Ile au Trésor, roman basé lui aussi sur des cartes. La dualité de la ville, entre ses beaux quartiers (situés à l’ouest) et ses quartiers mal-famés (situés à l’est) reflète la dualité de Docteur Jekyll et de M. Hyde : la division est / ouest est, encore une fois, mise à mal par la transgression des personnages qui errent d’un quartier à l’autre, faisant fi des limites.

Si vous voulez vous confronter à l’étrangeté du roman, essayez également de tracer un plan de la maison du Docteur Jekyll. C’est quasiment impossible. Comme Enfield remarquait cette maison n’est pas vraiment une maison, tout comme M. Hyde n’est pas vraiment une personne. Plusieurs critiques, comme Nabokov, l’auteur de Lolita, ont essayé de tracer des plans de cette maison pour se rendre compte que la maison ne faisait pas vraiment sens, tout comme l’histoire ne fait pas vraiment sens d’un point de vue rationnel.

Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde est un roman entre la renaissance du mouvement gothique en fin de siècle, le roman de détective, le roman noir. A l’image du personnage principal, il transgresse toutes les limites. L’intrigue, comme la ville, est labyrinthique et comme les lettres, ses éléments s’imbriquent les uns dans les autres. C’est un roman court et, même si vous pensez connaitre l’intrigue, il vous surprendra forcément à un de ses détours.

Le Livre de Poche

160 pages

trad. Jean Muray

Anne-Victoire