Fut un temps où j’étais grande amatrice de Mangas en tout genre: du Shonen au Seinen, saupoudré de quelques pages plus légères de Shojo, bref tout y passait. Au cours des années, ma collection s’est accrue encore et encore, puis un gros tri s’est imposé car les goûts se peaufinent au fil des lectures et très vite mon attrait pour le graphisme et les auteurs indépendants a fait place nette.
Des centaines de bandes-dessinées nippone que j’ai pu découvrir et apprécier, seules quelques unes ont eu le privilège de continuer d’habiter ma bibliothèque de coeur.
La Jeune Fille aux Camélias fait parti des heureux élus: OVNI peu connu dans le monde du Manga, sorti en 1984, il est attirant aussi bien par son style graphique que par son thème abordé.
Ame sensible s’abstenir, amateur de Freak-Show accourez, car cet ouvrage fait parti du mouvement Ero-Guro, autrement dit Erotique-Gore, s’adressant à un public averti. Vous l’avez compris, ici pas d’histoire d’amour mièvre, de courageux personnages en quête d’un monde meilleur mais de la nudité et une atmosphère dérangeante à souhait.
Midori, jolie jeune fille naïve encore bercée par l’enfance, se retrouve embarquée au milieu d’une bande de saltimbanque d’un genre particulier: homme vers, momie manchot, femme serpent, hermaphrodite cracheur de feu… Bien que sous la protection du nain Masamitsu, seul personnage qui semble bienveillant dans cet univers tordu, elle pâtit des penchants malsains du reste de la bande, pour qui cruauté et sadisme sont monnaie courante.
Elle est rapidement avalée par ce typhon infernal, dans cet univers où les hommes laissent place aux créatures et servent de support pour dénoncer les plus vils penchants de l’individu. Ce n’est pas leur physique qui rebute, tant abimé et écorché soit-il, c’est leur âme qui recèle une noirceur de charbon aussi épaisse que gluante, de laquelle il est dur de se dépêtrer. Et Midori est bien placée pour le savoir car elle est sans cesse tourmentée par ces saltimbanques infectes, qui prennent un malin plaisir à la faire souffrir et à la harceler.
Quelques éclaircies forment des trêves salvatrices, souvent amenées par la présence de Masamitsu qui semble profondément éprit de la jeune fille. Les glissements volatiles entre rêves et réalité, échappatoire ou bien confrontation au palpable deviennent bien vite difficiles à distinguer l’un de l’autre, comme si Midori sombrait dans une folie rêveuse en se créant un monde où il fait meilleur vivre.
Les illusions même sont souvent aussi cruelles que la vie qu’elle mène, cependant les actes de barbaries se retournent contre les bourreaux monstrueux de la jeune fille qui est peut-être, au final, aussi sadique que les autres derrière son joli minois.
Ces Malheurs de Sophie à la japonaise, sans filtre ni pincette, procure un pesant ressenti qui dérange longtemps une fois la lecture achevée. Là où l’auteur est très fort c’est qu’il ne tombe pas dans la vulgarité facile, le sexe tapageur et grossier: il y a au final très peu de scènes à proprement parler “choquantes” -le couple Midori-Masamitsu semble d’ailleurs axésué- mais tout les détails, les corps tordus à la nudité crue, le primitivisme décadent et élaboré propre à l’Humanité que distille à chaque case Suehiro Maruo, provoquent une ambiance à la fois poétique et nauséeuse, cocktail au laisse un goût bien amer.
Le graphisme résolument rétro emprunté par l’auteur rajoute au malaise et nous plonge encore plus dans l’ambiance décalée et étrange de ce cirque ambulant des années 20. Suehiro Maruo soigne sa mise en case, se plait à fournir des images pleine de détails, d’une délicatesse subtile qui apporte un aspect encore plus décalé à la narration perfide et sournoise.
La lecture est saccadée et parfois sans queue-ni-tête, des scènes d’une dureté ténébreuses s’alternent subitement avec des images pleine de douceur et de candeur, bref cet ouvrage, bien que déconseillé aux plus sensibles, reste pour moi un incontournable de ma Mangathèque.
Editions Imho
156 pages
Caroline