Paru en 2010, Sukkwan Island, premier roman de David Vann a reçu un excellent accueil en France, et a notamment été prix Médicis étranger. Roman des retours aux sources, de l’immersion en pleine nature, Sukkwan Island mêle autobiographie et exorcisme des démons de l’auteur. Un roman noir, au cœur d’une dépression dévastatrice.
« Le seul accès se faisait par la mer, en hydravion ou en bateau. Il n’y avait aucun voisin. Une montagne de six cents mètres se dressait juste derrière eux en un immense tertre relié par des cols de basse altitude à d’autres sommets jusqu’à l’embouchure de la baie et au-delà. L’île où ils s’installaient, Sukkwan Island, s’étirait sur plusieurs kilomètres d’épaisse forêt vierge, sans route ni sentier, où fougères, sapins, épicéas, cèdres, champignons, fleurs des champs, mousse et bois pourrissant abritaient quantité d’ours, d’élans, de cerfs, de mouflons de Dall, de chèvres de montagne et de gloutons. »
Roy, adolescent de treize ans, est entraîné par son père Jim dans une retraite sur une île abandonnée de l’Alaska. Heureux nouveau propriétaire d’une cabane défraîchie, Jim a de grandes attentes de cette année loin de tout. La vie au grand air, retrouver sa nature profonde, faire de son fils un homme. Et en filigranes, oublier la femme qui vient de le quitter, sa vie médiocre, nouer un lien avec son fils, apprendre à se supporter.
Rapidement, Roy comprend l’ampleur du bourbier dans lequel il se trouve. Son père n’a pas vraiment planifié cette retraite, Sukkwan n’est pas particulièrement accueillante et son père s’enfonce chaque jour plus dans une dépression abyssale.
« Observant l’ombre noire qui bougeait devant lui, il prit conscience que c’était précisément l’impression qu’il avait depuis trop longtemps; que son père avait une forme immatérielle et que s’il détournait le regard un instant, s’il l’oubliait ou s’il ne marchait pas à sa vitesse, s’il n’avait pas la possibilité de l’avoir à ses côtés, alors son père disparaîtrait , comme si sa présence ne tenait qu’à la seule volonté de Roy. »
Une dépression qui se traduit notamment par un égoïsme monstre, allant jusqu’à oublier son fils et sa survie. Alors que les jours passent, Jim et Roy s’éloignent toujours un peu plus. Jusqu’au jour où tout bascule.
Construit en deux parties, le roman suit le lent drame qui se tisse entre ces deux êtres, qui ne communiquent plus. Dès l’arrivée sur l’île, l’atmosphère se tend. L’écriture simple, tendue, sert le décor tantôt hostile, tantôt méditatif. Plus que de la nature, c’est d’eux-même qu’ils doivent se méfier.
Rejouant l’année de ses treize ans, David Vann décale la réalité afin de donner une chance à son père. Au delà des relations familiales, c’est une réflexion autour de la perte de soi mais aussi de la culpabilité qui se file. Quand la solitude devient réelle et non plus superficielle. Un roman qui ne laisse pas indifférent, et qui ne se laisse pas reposer en cours.
200 pages
Traduction Laura Derajinski
éditions Gallmeister
Aurore
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