La petite apocalypse de Tadeusz Konwicki est le roman de tout ce qui ne tourne pas rond, et qui devrait ne même pas fonctionner en principe.
Tadeusz Konwicki, ancien résistant polonais durant la seconde guerre mondiale, se retrouve enrôlé dans les « boutonneux », une caste d’artistes et intellectuels, qui à travers l’art vantent les mérites du communisme et de la puissante U.R.S.S. L’Enjeu étant de construire une culture communiste dans une Pologne qui ne l’était pas. Un enjeu que ces boutonneux vont s’employer à valoriser à travers des romans faisant l’éloge du travail et de la patrie.
Mais Tadeusz Konwicki, trop entier, trop idéaliste fini par désillusionner et le masque de propagande fini par céder.
Il va devenir, par le biais de ses textes et de ses films, un dissident de la politique communiste polonaise et de cette propagande artistique toujours plus débilitante et abscons. Il finira même par se faire radier des anthologies littéraires polonaises. Tadeusz Konwicki devient grand, Tadeusz Konwicki rayonne… mais à l’étranger et de manière confidentielle et clandestine dans son pays !
Puis en 1979 sort La petite apocalypse, sont roman de l’illumination, sa critique d’un régime politique polonais toujours plus clownesque et ses pantins d’artistes certifiés conformes. Un livre qui va marquer et même toucher en dehors des frontières, s’attirant des admirateurs dans les milieux artistiques du monde entier. Costa-Gavras en fera un film dans les années 90, une transposition du roman dans un Paris dystopique.
« Voici la fin du monde. Voici ma fin du monde à moi, imminente et sournoise dans sa lente progression de reptile. La fin de mon monde personnel. Mais avant que ce mien univers ne tombe en ruine, avant qu’il ne se désagrège en atomes, il me reste à parcourir le dernier kilomètre de mon Golgotha, le dernier tour de ce marathon absurde, monter ou descendre les quelques traverses de l’échelle du non-sens, »
Un auteur, vivant seul, plutôt reclus, et ne jouant pas le jeu du conformisme littéraire polonais, un écrivain en panne d’inspiration, se voit offrir un proposition plutôt improbable et hautement contestataire : S’immoler par le feu devant le palais de la culture. Un acte symbolique et puissant qui va lui poser des questions et réflexions. Se laissant vingt-quatre heures pour faire le tour de sa vie, des ses amis et connaissances, nous suivons la dernière journée de cet auteur dans un Varsovie automnale et ennuyeux.
Il est important de souligner que ce texte se définit par l’absurde, mais pas seulement. Comment atteindre un but contestataire et qui nous dépasse totalement, quand nous ne croyons plus en rien. Comment dépasser le cadre de l’humain, de sa personne pour transcender un message. Et surtout comment devenir un symbole dans un monde qui est autant en perte de sens et de logique. Le postulat de départ à son intérêt et porte le lecteur à se projeter dans le rôle de l’auteur à travers ses nombreuses digressions.
Tadeusz Konwicki percute par le pertinence des situations et l’absurde qu’il insuffle dans certains dialogues. Osant souvent pousser au paroxysme les codes d’une Pologne communiste et asphyxiante, il devient le témoin d’une population désenchantée en quête d’un nouveau souffle. Cette journée marquée par des rencontres, la police et ses contrôles impromptus et toujours plus absurde d’un coté et les Apparatchicks voulant devenir écrivain et rêvant d’un idéal pour la création artistique démontre tout le paradoxe d’une nation qui se cherche et ne se trouve pas. C’est autant de miroirs tendus à une Pologne soumise à des règles toujours plus liberticides et anxiogènes.
L’intelligence narrative de Tadeusz Konwicki réside aussi dans son Varsovie, un dédale, un labyrinthe, du gris, de la poisse et du non-sens, une belle métaphore de la politique de l’époque et un regard sans concession sur un dysfonctionnement plus général qui va mener à la chute de l’U.R.S.S. Qu’il est pertinent de ressortir ce texte de nos jours. Faisant écho à notre époque , en France en particulier.
Cette fable noire et absurde, est d’une grande richesse et finesse dans le propos, les dialogues ou encore l’écriture valent le détour et on aime se perdre dans cette Varsovie. La petite apocalypse percute, bouscule et fait réfléchir quant à l’importance de la liberté sous toutes les formes qu’elle soit.
Tadeusz Konwicki avait frappé fort en 1979, Tadeusz Konwicki va encore frapper fort aujourd’hui.
Les éditions du Typhon ont eu le nez fin en le rééditant, souhaitons lui le succès qu’il mérite.
« -Pourquoi n’ai-je jamais aimé cette ville ? Non ce n’est pas vrai…J’ai dü un jour me glisser dans son cadavre. Nous avons fait surface ensemble, après la pénible réanimation. Depuis, nous sommes des amis du même âge. Le hasard nous a unis. Il apparaît que c’est à la vie et à la mort. »
Vous pouvez en apprendre plus sur la genèse de ce roman et sur la maison d’éditions dans l’interview de l’éditeur ici!
Les éditions du Typhon,
Trad. Zofia Bobowicz,
préface Costa-Gavras,
330 pages,
Ted.