Le 15 mars 1928 est le premier roman de l’écrivain japonais Takiji Kobayashi, et le troisième actuellement traduit en français (Le bateau-usine, Allia, 2015 et Le propriétaire absent, Amsterdam, 2017). Écrit à la hâte, en cinq semaines, il s’inspire des événements du 15 mars 1928, date à laquelle commença au Japon une immense campagne de répression envers les militants et sympathisants communistes. Takiji Kobayashi, âgé de vingt-quatre ans au moment de la rédaction du livre, vient de se rapprocher du syndicat ouvrier et fut donc un observateur de premier plan des rafles politiques, matériau qu’il utilisera largement dans Le 15 mars 1928 et qui donnera au roman sa teinte réaliste.
O-Yoshi consolait ces enfants en pleurs : « C’est personne, juste les mêmes que d’habitude. C’est rien, allez, il faut pas pleurer. » L’un après l’autre, ils se calmèrent. Ils avaient même fini par s’habituer aux agents de police. Ceux du syndicat, à moitié rieurs, félicitaient O-Yoshi en lui disant qu’elle leur donnait ainsi une véritable « éducation de classe ». Elle, bien sûr, faisait cela sans y réfléchir.
Roman choral, Le 15 mars 1928 est le récit de la répression, sur l’île d’Hokkaido dans la petite ville d’Otaru, qui toucha le parti communiste et les ouvriers syndicalistes. Bien loin encore de constituer une menace politique, ces militants avait cependant suffit à inquiéter le pouvoir conservateur alors en place, qui fit arrêter en quelques semaines plus de 1 600 personnes dans tout le Japon.
Suzumoto, Watari, Saitô, Sata, Ogawa, tous étaient ouvriers et petites mains infatigables du syndicat. Ryukichi était instituteur, et faisait lui partie de la frange intellectuelle du parti. A la veille d’une manifestation destinée à renverser le « cabinet du grand prêtre Tanaka », homme politique issu d’une famille de Samouraïs et actuellement premier ministre du Japon, la police arrêta de très nombreux militants pour les jeter en prison. Débarquant en pleine nuit, ne donnant ni motif ni durée, ils emmenèrent les hommes pour les torturer puis les juger.
Roman tout à la fois intime et revendicatif, Le 15 mars 1928 relate ces jours de prison, à travers les yeux de ces militants et de leurs parcours intellectuels et professionnels. Leurs convictions, leurs peurs, leurs colères et leurs incompréhensions s’expriment au fil des chapitres alors que la répression et ses interrogatoires sanglants s’abat plus violemment sur eux.
Comme les autres romans de Takiji Kobayashi, Le 15 mars 1928 est un texte politique, qui, par ses descriptions de la torture, des détentions abusives ou de la violence d’état, prend position contre la politique japonaise de l’époque. Mais, et bien que ce soit un texte de jeunesse, c’est aussi un roman fin et habilement construit sur les liens qui « font société », sur le regard que se portent les individus d’un côté ou de l’autre de ce fossé que sont les classes sociales. Au fil des longues nuits, raide de fatigue, la figure de l’ennemi policier s’émousse pour laisser place à des ombres de fonctionnaires dont les donneurs d’ordres usent sans scrupules…
« Tu gardes ça pour toi, mais si tout le monde disait ce qu’il pense, touts les agents, ils diraient comme moi. Mais bon, voilà, c’est des agents, et puis avec la vie qu’ils mènent, ils sont essorés jusqu’au trognon, donc avant de les faire bouger… »
Ryukichi était clairement excité. C’est justement ça qui était important, se disait-il. Il voyait maintenant l’agent Mitobe comme si c’était la premiere fois. Il se sentit soudain plus proche de ce policier, assis sur une caisse, face au couloir, avec son uniforme aux épaules larges et épaisses tombant vers l’avant, au point de vouloir lui donner une franche poignée de main. Son coeur débordait du désir de lui adresse un « Hé, l’ami » en tapant sur son épaulette couverte de pellicules, ou de poussière.
Lors de sa parution fin 1928, dans la revue Seiki, Le 15 mars 1928 fut interdit, puis censuré. Takiji Kobayashi, par ce premier roman, s’impose comme le grand romancier de la classe ouvrière japonaise. Marginal en son pays pour ses pensées et son écriture, il mourra cinq ans après, à vint-neuf ans, sous les coups de la police. Police qu’il avait ardemment dénoncé au fil de ses romans.
121p
Paco