Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
Tous les héros ne sont pas des Hommes de pouvoir aux destinés incroyables et hors normes, comme le prouvent si bien les protagonistes de Jirô Taniguchi, ces héros ordinaires aux plaisirs simples et aux vies cadencées par une lenteur sereine et sage.
En suivant cette optique calme et contemplative, le célèbre mangaka et le scénariste Masayuki Kusumi ont crée en 1994 leur héros ascète, dont les aventures ordinaires et culinaires intitulées Les rêveries d’un gourmet solitaire connaitront un très grand succès et seront adaptées en série télévisée et rééditées régulièrement à travers le globe.
Cet homme, c’est Gorô, businessman et commercial dans la mode qui est souvent amené à faire des déplacements à travers le Japon et parfois même à l’étranger, allant d’un rendez-vous d’affaire à un autre. Chaque jour, il laisse ses pas et son intuition le guider dans les coeurs fumants de petites gargotes typiques ou atypiques et s’abandonne à une dégustation passionnée et méticuleuses de ces découvertes gastronomiques.
Découpé en un chapitre par restaurant, ce roman graphique à la thématique surprenante mais maitrisée par Taniguchi et Kusumi, possède un rythme lent et savoureux qui rend hommage au bien-manger.
Gorô est un gourmet, et il porte toute son attention aux repas qu’il déguste: à travers les plats extrémements détaillés aussi bien au niveau du dessin de Taniguchi que du monologue écrit par Kusumi, on découvre le pan culturel gastronomique nippon ainsi que les spécialités liées à chaque terroirs et quartier. En effet, chaque région a sa manière de se réapproprier un plat classique en le réinventant à sa sauce, et une base commune comme le râmen peut ainsi prendre des tournures inattendues selon les accompagnements qui l’agrémentent.
A travers ces pérégrinations culinaires, Gorô nous met l’eau à la bouche, révèle une plénitude du corps et des sens, et même parfois une certaine nostalgie à travers cette passion goûtue qui l’anime. Les monologue de cet homme qui fui la foule, les endroits trop bruyants ou propices aux beuveries, ainsi que ses balades sans but, nous plongent dans un Japon authentique et réaliste. Les accords alanguissants du scénario laissent place à la découverte et à un sentiment de plénitude contemplatif qui se retrouve dans l’oeuvre de Taniguchi, mais cette fois-ci selon un angle nouveau et inattendu.
Tanigushi dessine des mets d’ailleurs, notamment une pizza à la manière japonaise ou encore un repas algérien apprécié à même le quartier de la Goutte d’Or à Paris, entrainant son gourmet solitaire sur des sentiers moins courants, lui permettant d’émerveiller son palais à des saveurs nouvelles. Kusumi ponctue l’album d’anecdotes pétillantes sur les traditions au Japon, la provenance de certains plats, la manière de les servir ou encore les habitudes de certains patrons et restaurateurs.
Dans cette société moderne où tout le monde est de plus en plus empressé, où les repas s’engloutissent sur le pouce en 5 min, ce héros ordinaire laisse ses pas et ses flâneries le guider vers des lieux où il prendra le temps de savourer l’instant présent et le plat qu’il déguste. Le gourmet solitaire est une ode à la nourriture du corps et de l’esprit, où chaque scène décrit un moment, marque un temps d’arrêt sur un sentiment, une impression, un souvenir, le détail d’un lieu: bien plus qu’un simple repas, c’est toute une philosophie et une hygiène de vie qui découlent des pages de ce roman graphique unique en son genre.
Editions Casterman
Collection Ecritures
134 pages
Caroline
