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Tempêtes – Andrée A. Michaud

Après Bondrée – la démonstration implacable qu’un polar avait aussi le droit d’être magnifiquement écrit – et Rivière tremblantedont je rappelle ici l’émoi que ce livre avait provoqué en moi – on attendait beaucoup de la nouvelle parution de l’auteur québécoise Andrée A. Michaud.

Tempêtes arrive, et ne déçoit pas.

Le livre est découpé en deux parties bien distinctes qu’une conclusion vient faire correspondre. La première partie relate l’hiver terrible sur les hauteurs du Massif Bleu, une montagne qu’on imagine hostile à toute forme de vie humaine. Marie Saintonge s’inflige ces conditions dantesques (tempêtes de neige à tout va) en occupant la maison de son oncle récemment décédé. Juste avant de lui léguer cette maison, l’oncle l’avait mis en garde contre les éléments qui pourraient se déchainer autour et dans la vieille bâtisse. Une fois sur place, Marie comprend très vite que les murs ne sont pas le seul héritage, ils abritent également tous les fantômes qui ont eu raison de son oncle suicidé.

Ces cents premières pages sont déroutantes car elles mettent en scène une femme seule, face aux multiples tempêtes de neige, cloitrée dans sa maison, victime d’hallucinations faisant apparaître des hommes sur le point de mourir ou peut-être même déjà morts. A moins que – et c’est là tout le cœur de cette première partie – aucune de ces apparitions ne sont des hallucinations. C’est un huis clos, autant physique que mental, et tout cela rend le quotidien de Marie éprouvant. Cette avancée sur un fil pris dans la tempête est tout aussi éprouvant pour le lecteur.

Puis tout s’éclaire.

La seconde partie se passe quelques mois plus tard, en été, sur l’autre versant de cette fameuse montagne du Massif Bleu. Arrivé dans un camping, Ric Dubois affronte l’hostilité des vacanciers car il n’appartient aucunement au même monde. Lui est seul et solitaire, ses voisins de roulotte sont de braves familles joyeuses et bruyantes, heureuses de passer des vacances à proximité des bucoliques Chutes Rouges (le camping donne sur la Red River, une rivière qui, comme son nom l’indique, a la particularité de voir son eau légèrement teintée en rouge à cause d’un quelconque miracle géologique). Mais les tempêtes d’été approchent. Des trombes d’eau mettent à mal les joyeusetés. Les cadavres s’accumulent, des hommes et des femmes du camping sont retrouvés noyés dans la rivière. Ric a tout du coupable idéal. S’il interagit – sommairement, certes – avec ses voisins qui l’accusent, Ric est aussi seul que Marie Saintonge dans son chalet. Et les fantômes, eux aussi, semblent se précipiter à ses trousses.

Comme Bondrée ou Rivière tremblante, Tempêtes n’est pas, à proprement parler, un polar. Il y a certes quelques cadavres ici ou là, un inspecteur taciturne et une enquête, mais tout cela n’est qu’un décor, une toile de fond pour mettre en scène le récit d’une folie. Ou plutôt des folies qui naissent des doutes et de la solitude. Tempêtes raconte le piège dans lequel chacun peut s’enfermer par la seule force (ou nuisance) de son esprit. Tout cela est fort habile, et subtil, car Andrée Michaud est une écrivaine formidable. Avec elle, on traverse les torrents, les rideaux de pluie ou les blizzards épais, et on s’aventure dans les psychés les plus sombres. Loin de nous effrayer, cela nous éblouit. L’écriture d’Andrée Michaud est cette lumière qu’on espère quand, pris dans la tempête, on n’attend plus qu’un miracle pour s’en sortir vivant.

Toute son œuvre est saisissante, et elle est à découvrir de toute urgence. Rares sont les écrivains à pouvoir ainsi sonder l’âme humaine quand elle est à ce point malmenée et meurtrie. Un des points communs de ses romans est l’économie de dialogue, comme si chaque individu vivait dans son monde, emprisonné et incapable d’appeler à l’aide. Michaud évoque le deuil, évoque les disparitions, évoque la folie, et se demande comment l’homme peut encore tenir debout face aux épreuves. Elle questionne non pas la capacité de résilience de l’humain, mais s’intéresse à l’étape d’avant, quand on tombe dans le trou et que rien n’indique qu’on puisse en sortir. Ce qui, en un sens, est bien plus intéressant. Son propos est la lutte que l’on mène face à nos démons, ou ceux qui surgissent sans crier gare alors qu’on se croit en sécurité. Avec Andrée Michaud, la lutte parait vaine, mais le combat mérite d’être mené. Ses personnages sont parachutés dans l’arène – peu importe qu’ils en sortent, ou qu’ils veuillent en sortir. Ils sont là, et n’attendent qu’une chose : que la noirceur les emporte.

Alexandre

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Andrée A. Michaud

éditions Rivages

334 pages

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Chroniqueur

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