The Great God Pan (Le Grand Dieu Pan) est ce que les anglais appellent une “novella” d’Arthur Machen, publiée d’abord dans le journal The Whirlwind en 1890, puis publiée sous forme de livre en 1894.
La première chose que votre humble narratrice peut vous dire pour vous donner envie de découvrir cette novella ressemble à ça : Arthur Machen est probablement l’auteur qui a le plus inspiré Lovecraft. On retrouve dans ces quelques pages la terreur sans nom que vous connaissez si bien pour être attribuée à Cthulhu. D’autres auteurs, tels que Stephen King, se sont inspirés de cette oeuvre pour créer la littérature d’horreur telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Avant toute chose, voici votre kit de survie :
- Vous connaissez probablement le dieu Pan. Il vient du la mythologie greco-romaine. Pan est moitié homme, moitié bouc, comme un centaure, mais ses jambes sont celles d’un bouc. Si vous vous souvenez du mentor d’Hercule dans le film Disney, Phil, vous avez à peu près l’image. Contrairement à Phil, le dieu Pan, tel qu’il était décrit par les Grecs et les Romains, est une divinité chaotique. Pan est réputé pour chasser des Nymphes pour s’associer avec elles. La nymphe Syrinx se transforme en roseaux pour lui échapper et Pan finit par faire une flûte de ces roseaux. Pan participe Bacchanales, ces cérémonies chaotiques, frénétiques et excessives qu’inspire Bacchus (ou Dionysos) N’imaginez pas les Bacchanales comme une simple orgie, avec du sexe et du vin. Il y en a, certes, mais les Bacchanales sont surtout l’occasion de libérer des énergies habituellement repressées par une société trop stricte. Pan est terrifiant : le mot “panique” vient de “panikos” (Πανικός) qui veut justement dire “la manifestation de la colère de Pan”. Mais “Pan” veut aussi dire “tout” en grec (d’où les mots tels que panthéon, pandemonium et surtout panthéisme) car Pan est aussi le dieu des bergers, des troupeaux et de la campagne. Pan est le dieu de la Nature entière. C’est ce dieu Pan qu’Arthur Machen représente dans sa novella.
- Vous allez demander à votre humble narratrice en quoi le dieu Pan pouvait bien intéresser la société victorienne de fin de siècle (fin-de-siècle comme disent les anglais) Retournons à notre première description de Pan : mi-homme, mi-bouc. Si votre humble narratrice vous dit “bouc” dans un contexte où la religion chrétienne est dominante, naturellement vous pensez à Satan qui est souvent représenté comme un bouc. En effet, le christianisme associait, à l’époque, Pan avec l’Adversaire.
- Pan fait également partie des Bacchanales, ces fêtes où tout est hors de contrôle : vous pouvez comprendre la terreur que cela pouvait inspirer à la société victorienne qui est directement à l’opposé du chaos que représentait les Bacchanales. Ce que vous devez retenir de ces deux derniers points c’est que la figure du dieu Pan était belle et bien vivante à l’époque où Machen écrivait et terrifiait encore les gens. L’image de couverture est un tableau de Nicolas Poussin : “Le Triomphe du Dieu Pan” et est une preuve de la fascination que le dieu Pan exerçait.
- Stevenson (LE Stevenson de L’Île au Trésor et de Dr Jekyll et Mr Hyde) a écrit un très court essai sur Pan appelé “La Flûte de Pan”. Machen se repose principalement sur cette vision de Pan pour écrire The Great God Pan. La lecture est rapide et magnifique, comme d’habitude avec Stevenson, et est d’une grande aide pour la lecture de la novella de Machen. (Machen s’est également abondamment inspiré de Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde également)
The Great God Pan commence à la campagne où Dr Raymond explique à son ami Clarke qu’il a découvert que le monde qu’ils ont sous leurs yeux (dans leur cas, les vertes collines de la campagne anglaise) n’est en réalité que le monde des sens et qu’il existe un monde de l’esprit et qu’il suffit de repousser le voile qui les sépare afin d’y accéder.
Et dans “repousser le voile”, comprenez : faire subir une lobotomie à une jeune fille droguée pour l’occasion. Pouvez-vous sentir de là l’influence que Machen a eue sur Lovecraft ? Donc, Dr Raymond drogue sa pupille, une jeune fille pure et innocente, pratique l’opération et Clarke et lui assistent à la possession de la jeune fille par le terrifiant dieu Pan. Après l’expérience, la jeune fille ne regagne jamais ses esprits. Mais tout va bien selon Dr Raymond parce qu’elle a vu le dieu Pan et son opération semble être un succès. Neuf mois plus tard, la jeune fille accouche d’un enfant miracle. Comme vous avez pu le deviner, le nom de la jeune fille est Mary.
Or, l’enfant de Mary est une fille (par conséquent, ce qui semble miraculeux devient terrifiant) Cette fille, du doux nom d’Helen (encore une référence à la mythologie), est le point central de l’histoire comme le Minotaure est le point central du labyrinthe. Toute l’intrigue tourne autour d’elle et de ce que le héros, le jeune Villiers de Wadham, découvre sur elle à travers des fragments de témoignages, de portraits et de sa propre enquête. Votre humble narratrice n’a pas évoqué l’image du labyrinthe au hasard, Villiers poursuit Helen à travers les rues de Londres, des plus beaux quartiers aux quartiers les plus mal famés et découvre l’horrible nature de la jeune femme.
Les trois points qui font de cette novella un chef d’oeuvre de l’horreur peuvent être résumés ainsi :
- Comme Villiers découvre la terrible histoire d’Helen à partir de fragments que son enquête révèle, la narration est elle-même fragmentaire. Elle est d’abord divisée en huit chapitres et, dans ces chapitres, la narration principale est interrompue par des lettres, des dialogues, des descriptions de portraits, des rapports de ce qui a déjà été dit dans le passé et même des inscriptions en latin (qui sont normalement traduites dans les notes) Cette structure en fragments est intéressante parce qu’elle permet au lecteur de remarquer les blancs, les failles. Les fragments proposent des informations mais laissent également entendre que le mystère n’est résolu que superficiellement.
- La langue rencontre également certaines difficultés. Vous connaissez le style étrange et fascinant de Lovecraft, ce magnifique vocabulaire dont il dispose et ces silences qu’il nous impose, d’autant plus terrifiants en contraste. Ce style vient de Machen : Dr Raymond, lorsqu’il tente d’expliquer ce qu’il y a de l’autre côté du voile, utilise un vocabulaire très poétique et se justifie en déclarant que ce à quoi il fait allusion est au-delà d’un vocabulaire ordinaire. De même, les personnages les plus rationnels sont retranchés dans un language poétique pour décrire l’étrangeté d’Helen, la femme mi humaine, mi Pan. Mais le pire, ce n’est pas ce language poétique qui excite notre imagination et réveille nos sens. Le pire réside le moment où le lecteur est vraiment terrifié est quand les mots ne suffisent plus et un grand silence tombe sur la narration.
- Le silence occupe en effet une place centrale, non seulement dans l’intrigue, mais aussi dans la narration. Il y a un détail qui est à la fois amusant et extrêmement révélateur : à chaque fois que la sexualité féminine commence à être mentionnée, immédiatement, un silence s’ensuit. Qu’il s’agit de la virginité de Mary ou le pouvoir sexuel d’Helen, la sexualité des femmes est passée sous silence, tout comme l’étrange monde du dieu Pan. Comme vous avez pu le comprendre, dans la société victorienne, le désir féminin est un sujet tabou. Au moment où Machen écrit The Great God Pan, ce tabou a pris tellement d’importance que la sexualité des femmes devient un sujet d’horreur.
The Great God Pan est une novella tout à fait passionnante et originale. C’est à la fois une exception et une oeuvre centrale de la littérature d’horreur. Votre humble narratrice ne peut que vous souhaiter de trouver autant de plaisir à le lire qu’à le placer dans vos prochains kits de survie pour découvrir d’autres oeuvres sorties des abysses.
84 pages
edition Ombres
traduction de Paul-Jean Toulet
Anne-Victoire