The Hunter (Le Chasseur) est un roman de Julia Leigh, publié en 1999.
L’intrigue du roman est plutôt simple : un chasseur doit trouver et abattre le dernier tigre de Tasmanie.
Remettons les choses dans leur contexte : la Tasmanie est une petite île au Sud de l’Australie. Sur son sol ont eu lieu de nombreux massacres, entre autres, celui des tigres de Tasmanie (à ne pas confondre avec les diables de Tasmanie). Ces animaux ont été tellement chassés qu’il n’en reste plus aujourd’hui que dans les mythes tasmaniens. La chasse vaine du fameux tigre de Tasmanie est un motif récurrent dans la littérature, symbole d’une obsession malsaine et d’une descente dans la folie.
Le roman propose une ré-écriture moderne du thème : un chasseur professionnel est chargé de trouver le dernier specimen des tigres de Tasmanie et de ramener son ADN à la compagnie qui l’emploie.
The Hunter est bel et bien un autre specimen du Tasmanian Gothic dont votre humble narratrice vous avait déjà parlé il y a deux semaines. Mais il s’agit d’un tout nouveau point de vue sur le Gothic.
Dès les premières pages, on se demande si nous n’aurions pas affaire à une focalisation externe et un narrateur hétérodiégétique, ce qui est étonnant pour un roman gothique où nous avons plus l’habitude du narrateur se livrant à son journal à la première personne ou d’un narrateur omniscient. A la deuxième surprise, on se rend compte qu’il s’agit en fait d’une focalisation interne ! Notre personnage n’est juste pas très expressif.
Ce détail est le point central du roman. Le personnage principal est l’exact opposé du héros gothique traditionnel. Le lecteur n’apprend jamais son nom : il est appelé M par le narrateur, initiale probablement tirée du faux nom sous lequel il se présente : Martin David. Plus important, notre cher M n’est pas du tout incliné à avoir des émotions envers quoique ce soit. Si vous vous dites à ce moment-là : « Oh, terriblement ennuyeux », votre humble narratrice vous répond : « Pas tout à fait »
Notre cher M va en effet se retrouver face à une situation qui va défier son avarice en émotions. La première épreuve réside dans la famille qui l’accueille le temps qu’il aille chasser. C’est une famille brisée par la disparition du père, parti chassé le tigre de Tasmanie. A ce moment-là, votre humble narratrice vous révèle que le fantôme est un symbole d’une histoire qui va être racontée deux fois. La mère est tombée sous l’influence des calmants et dort toute la journée, joliment renommée ”La Belle aux Bois Dormants” par M. Les deux enfants sont à moitié abandonnés, libres de courir partout et de repeindre toute la maison, un tapis par un tapis, avant d’avoir à se nourrir de riz au micro-ondes. L’arrivée de M est comme un souffle d’espoir, une nouvelle chance pour la famille de se reconstruire. Vous vous doutez bien que M n’est pas tout à fait de cet avis.
Mais M doit aussi faire face à la nature de la Tasmanie. Loin d’être aussi enchanteresse que les paysages décrits par Mélanie Calvert dans Freycinet, la nature vue par M est un ensemble de signes, d’indices et de cercles rouges sur ses cartes, le tout pointé dans la direction du dernier tigre de Tasmanie. M ne se jette pas dans l’aventure comme un héros romantique, mais plutôt comme le psychopathe calme et sans émotions d’un thriller. La nature n’est pas les arbres qui dansent au vent de fin d’une journée, mais les pins qui indiquent le sens du vent, auquel M doit se positionner pour ne pas alerter sa proie avec son odeur. C’est un point de vue très intéressant pour un roman gothique.
Le coup de force (un des coups de force) du roman est le traitement du tigre de Tasmanie et de sa relation avec M. M est un homme très professionnel en toutes occasions. Or, cette attitude est menacée par le tigre qui refuse obstinément à se montrer. A tel point que le chasseur (et le lecteur avec lui) se trouve plusieurs fois à douter de son existence. Après tout, les tigres de Tasmanie sont censés avoir été massacrés jusqu’au dernier. Mais M refuse d’abandonner sa quête : sous ses excuses de « c’est mon travail, je dois réussir », il se retrouve très rapidement obsédé par la créature qu’il n’arrive jamais à saisir. Vous pourrez bien sûr retrouver des notes de Moby Dick dans certains passages, mais la relation entre M et le tigre repose surtout sur une forme d’empathie : M est un des derniers chasseurs au monde, tout comme le tigre, s’il existe vraiment, est le dernier tigre de Tasmanie.
Votre humble narratrice ne vous dira pas si le tigre est réel ou pas et vous laisse lire le roman par vous-même. Elle ne vous dira pas non plus si la famille adoptive de M se remettra sur pieds ou tombera à nouveau dans sa misère à cause de l’obsession de celui qu’ils croyaient allait la sauver. En revanche, elle vous donnera des derniers détails : le roman est assez court mais il est très dense. Apprêtez-vous à le dévorer très rapidement. L’intrigue est menée dans un superbe mélange entre l’enquête, la chasse et l’histoire de fantômes. Cependant, le roman ne se laisse jamais aller au lyrisme et de nombreux passages climatiques sont traités de façon sèche et minimaliste par le narrateur.
La cerise sur le gâteau ? Il s’agit du premier roman de Julia Leigh. L’auteur réussit ce tour de force absolument majestueux d’écrire un premier roman sans la moindre note de confession que l’on retrouve si souvent dans les premiers romans. Si vous ne faîtes pas confiance à votre humble narratrice pour vous conseiller de bonnes lectures, sachez que Toni Morrison elle-même a été impressionnée par ce roman et a décidé de prendre Julia Leigh sous son aile. Sur ce, je vous laisse aller lire ce livre le plus vite possible.
Il y a une adaptation cinématographique, réalisée par Daniel Nettheim, un réalisateur australien avec Willem Dafoe et Sam Neil. Le film est magnifique, tourné intégralement en Australie, mais est assez différent du livre, notamment concernant M qui finit par avoir des émotions avec toutes les conséquences qu’elles entraînent. Le film vaut la peine d’être vu, ne serait-ce que pour ces magnifiques paysages.
192 pages
Faber & Faber
Anne-Victoire