The King In Yellow (Le Roi en Jaune en français) est un recueil de nouvelles écrit par Robert W. Chambers et publié en 1895.
Pour vous remettre un peu dans le contexte, The Great God Pan d’Arthur Machen a été publié pour la première fois en 1890 et Dracula a été publié en 1897. Même si ces deux oeuvres sont britanniques et The King In Yellow est américain, nous pouvons voir que les nouvelles de Chambers sont inscrites dans une angoisse de fin de siècle qui s’étend de l’Europe à l’Amérique. L’horreur décrite par Chambers est d’ailleurs profondément inspirée par l’horreur sans nom et presque sans vissage décrite par Machen dans The Great God Pan.
Vous connaissez peut-être déjà ce recueil de nouvelles, même sans l’avoir lu vous-même grâce l’influence que cette oeuvre continue à étendre. Le fameux Roi en Jaune a, entre autres, inspiré Lovecraft avec sa manière d’écrire si allusive, avec son vocabulaire si riche et étrange et avec la création de la mythologie de Cthulhu ainsi que le traitement, encore une fois allusif des mythes qui entourent une figure mystérieuse et trop horrible pour être comprise par l’esprit humain (au du moins l’esprit humain sain) Chambers est le précurseur de Lovecraft : une lecture sous cet angle a été particulièrement intéressante pour votre humble narratrice qui a bien souvent du mal à réaliser que Lovecraft n’est pas un ovni littéraire, arrivé à un point aléatoire dans le temps, mais est le fruit d’une tradition littéraire qui trouve son apogée dans ses nouvelles.
Vous avez peut-être également entendu parler du Roi en Jaune grâce à la première saison de la série True Detective, comme votre humble narratrice. Il est question d’une entité mystérieuse derrière une série de disparitions inquiétantes et de meurtres-rituels. La figure du Roi en Jaune hante l’intrigue avec ses attributs : la Marque Jaune et l’étrange ville perdue de Carcosa que vous retrouvez dans le recueil de Chambers.
Donc, qui est ce fameux Roi en Jaune ? Où est Carcosa ? Qu’est-ce que tout cela ? The King In Yellow est une pièce de théâtre en deux actes inventée par Chambers et dont il fait référence dans toutes ses nouvelles où il mentionne le Roi en Jaune. Le lecteur ne sait pas quelle est l’intrigue de la pièce et il ne lui est dévoilé que des citations ou de rares informations. Cette pièce à l’auteur presque inconnu a été bannie de plusieurs nations parce qu’elle rend fous tous ceux qui la lisent. En effet, il se passe quelque chose, une catastrophe apparemment, qui change le lecteur à jamais et, quelques fois, le mène à sa mort. La pièce se déroule dans la ville de Carcosa, apparemment perdue dans une catastrophe sans nom. Où se situe Carcosa ? Dans les Hyades, un amas d’étoiles proche du système solaire. En 1895. Votre humble narratrice ne peut qu’espérer vous communiquer son enthousiasme concernant ce fait : en 1895, un auteur américain a situé l’ancienne cité perdue d’une civilisation mystérieuse sur un amas d’étoile. Le Roi en Jaune serait un alien… D’ailleurs Carcosa, contrairement à ce que votre humble narratrice imaginait, n’a pas été créée par Chambers, mais par Ambrose Bierce dans sa magnifique nouvelle “An Inhabitant of Carcosa” écrite en 1886 (qui est inclue dans l’édition que votre humble narratrice vous propose). Carcosa vient de Carcaso qui est le nom latin de Carcassonne. Ah, encore ces français… Mais nous nous écartons du sujet.
Ce qui est si passionnant dans le fait que The King In Yellow est un recueil de nouvelles nommé après une pièce de théâtre est la dimension méta-fictionnelle que cela apporte. Comment les oeuvres changent notre façon de voir les choses, perturbent notre perception de la réalité, en révélant une vérité enfouie ou en nous menant à la folie avec des élucubrations. Les nouvelles présentent chacune des narrateurs très différents qui permettent d’explorer de multiples aspects de l’impact que cette mystérieuse pièce de théâtre a sur ceux qui ont le malheur de la lire. Chaque nouvelle qui aborde le mythe de Carcosa la perdue et du Roi en Jaune se correspond grâce à ses thèmes et ses motifs et pourtant chaque nouvelle est différente, présentant une mosaïque ou comme des lambeaux qui, ensemble, forment le mystérieux manteau du mystérieux Roi en Jaune (ce manteau est également un motif, tout comme le masque pâle) De plus, la fin de chaque nouvelle est impressionnante : Chambers conserve l’atmosphère de mystère ambiant en finissant ses nouvelles de façon si abrupte que le lecteur a l’impression que le texte a été brutalement amputé. Sous ses yeux, la page devient brusquement blanche et les questions abondent et hantent les nouvelles suivantes.
Ce qui est particulièrement intéressant dans la mythologie du Roi en Jaune proposée par Chambers est le caractère allusif : vous pouvez aller chercher les origines de Carcosa en remontant la source jusqu’aux premières mentions de la ville mais on ne vous fera jamais un exposé sur ce qu’est Carcosa. Le fait que ces éléments, qui sont au coeur de l’intrigue, ne soient jamais expliqués ni montrés au grand jour, donne toute la beauté de ces nouvelles. Votre humble narratrice a mentionné Dracula plus haut (mais honnêtement : quand ne mentionne-t-elle pas Dracula ?) On peut trouver dans la figure du fameux vampire quelque chose de similaire au Roi en Jaune et à Cthulhu : votre humble narratrice a trop souvent vu des personnes se plaindre d’avoir été déçus par Dracula parce qu’ils s’attendaient à lire une histoire des origines du vampire, comme un exposé sur le pourquoi et le comment de ce vampire qui nous hante encore aujourd’hui. En réalité, on peut retrouver, dans les monstres de cette époque, un inexplicable qui fait de ces créatures de véritables monstres, de véritables mythes. Pour résumer, votre humble narratrice pense que les oeuvres telles que Dracula, The King In Yellow et les oeuvres de Lovecraft fascinent les lecteurs encore aujourd’hui parce qu’elles semblent encore si inexpliquées.
De plus, en cette époque de fin de siècle anglais et au début du XXème siècle, avec l’apparition de sciences telles que la phrénologie de Lombroso et la psychanalyse de Freud, nous pouvons comprendre sans peine les raisons qui ont poussé les auteurs a créer l’inexplicable.
Mais assez parlé autour du recueil, parlons du recueil lui-même ! The King In Yellow est composé de dix nouvelles, appelées “parties”. Les nouvelles n’ont pas véritablement de lien explicite entre elles mais on retrouve plusieurs motifs d’une nouvelle à l’autre : un lieu ré-apparait en arrière plan, le nom d’une femme aimée disparue est prononcé à nouveau… Votre humble narratrice a été surprise de découvrir que toutes les nouvelles ne parlaient pas du fameux Roi en Jaune ou de Carcosa ou même de n’importe quel aspect du mythe. Seulement la moitié des nouvelles y font référence. Les dernières nouvelles du recueil n’ont en effet aucun rapport avec le Roi en Jaune. Ces nouvelles-là racontent les amoures de jeunes artistes américains à Paris et sont, en général, moins intéressantes que les nouvelles qui traitent de Carcosa. Elles valent tout de même la peine d’être lues ne serait-ce que pour les fins abruptes et magnifiques que Chambers sait si bien écrire et pour se rendre compte de la dualité de la carrière de l’auteur : en effet, l’auteur n’a pas seulement écrit des nouvelles fantastiques mais est également responsables de romans sentimentaux. Le recueil The King In Yellow montre déjà ce contraste fascinant.
Une autre surprise attendait votre humble narratrice lors de cette lecture : l’omniprésence de la France dans les nouvelles des Chambers. L’auteur américain a en effet étudié l’art à Paris et, visiblement, ces années ont été formatrices pour son écriture également. Seules deux nouvelles ne se passent pas en France. Paris et son Quartier Latin sont souvent la scène des étranges aventures des personnages, mais la Bretagne y fait quelques fois apparitions dans la nouvelle “La Demoiselle d’Ys”. Le français est aussi très présent : citations d’oeuvres françaises, mots et expressions, on peut imaginer que, pour des lecteurs américains (les premiers destinataires de ces nouvelles) le français devait accentuer le mystère entourant les événements, ce qui est, entre parenthèses, extrêmement amusant pour les lecteurs français. Chambers est également influencé par la littérature fantastique française ! Nous pouvons retrouver la nouvelle de Prosper Mérimée, “La Vénus de l’Ille” dans la deuxième partie, “The Mask”, mêlant bien-aimées et statues et nous pouvons également retrouver “La Morte Amoureuse” de Théophile Gautier dans la nouvelle “The Street of the Four Winds” . Ce caractère hybride, entre français et américain, donne au lecteur français un mélange fascinant entre ce qui est mystérieux et ce qui est familier.
Mais les auteurs français ne sont pas les seules influences de Chambers : difficile d’écrire une nouvelle sans faire référence à Edgar Allan Poe. Dans ses nouvelles fantastiques, Chambers est très exactement à mi-chemin entre Poe et Lovecraft, c’est-à-dire qu’il est entre le côté très humain de Poe à travers ses narrateurs et, en même temps, présente déjà l’indifférence de l’univers de Carcosa et du Roi en Jaune par rapport aux êtres humains. Cette position intermédiaire peut paraitre paradoxale et est tout à fait fascinante à découvrir.
Les nouvelles du recueil de Chambers sont très inégales mais votre humble narratrice voudrait vous parler particulièrement de la toute première nouvelle qui, selon elle, est la meilleure nouvelle du recueil. Cette nouvelle, “The Repairer of Reputations” , est un récit à la première personne lors duquel le narrateur raconte sa destinée extraordinaire dans un New York futuriste (pour l’époque) Vous avez là un exemple de nouvelle fantastique le plus exquis que vous puissiez trouver et qui aurait parfaitement sa place dans Introduction à la Littérature Fantastique de Todorov dont votre humble narratrice vous a parlé il y a quelques semaines. Certains passages sont de véritables poèmes en proses qui excitent l’imagination et aiguise la curiosité du lecteur à propos de Carcosa la perdue. Il s’agit non seulement de la nouvelle dans laquelle vous aurez le plus d’information sur le mythe du Roi en Jaune, mais aussi la nouvelle la plus passionnante, ce qui est lié puisque Chambers transforme le langage quand il évoque Carcosa, de la même façon que Lovecraft semble créer un nouvel anglais pour parler de Cthulhu. La beauté des mots qui décrivent et ne décrivent pas Carcosa est littéralement sans nom. Encore une fois, le caractère méta-fictionel de ces nouvelles est tout à fait fascinant et, pour votre humble narratrice, l’intérêt principal de ces nouvelles étranges. Malheureusement, rien de plus à propos de cette nouvelle ne peut être révélé sans vous gâcher la multitudes de magnifiques surprises que celle-ci vous réserve mais si vous ne deviez lire qu’une seule nouvelle de Chambers, choisissez “The Repairer of Reputations”.
The King In Yellow est un recueil très inégal, mais la lecture de ces nouvelles reste intrigante pour quiconque serait intéressé par Lovecraft ou True Detective pour, tout simplement, par une autre façon d’écrire un mythe.
édition Le Livre de Poche
traduction de Christophe Thill
408 pages
Anne-Victoire
Merci pour cette pertinente et très sensible critique de l’ouvrage de Chambers !
Si vous désirez en savoir s’avantage sur “le Roi en jaune”, vous pouvez jeter un coup d’oeil sur ce blog :
http://editionsinedits.blogspot.fr/search/label/leroienjaune
Merci pour cet adorable commentaire et pour le lien vers ce blog qui est très très intéressant !
Article très intéressant qui m’a donné envie (en tant que fan de True Detective, mais pas seulement) de voir si on l’avait dans notre catalogue et de le réserver dans la foulée.
Merci beaucoup ! Je suis ravie que cet article vous ait plu ! True Detective est une mine de conseil de lectures !