The Persian Boy (la traduction officielle dit l’Enfant Perse mais ‘boy’ est plus une référence à la position d’amant qu’à la jeunesse du personnage principal, peut-être que la traduction Le Garçon Perse serait plus appropriée ?) est un roman de Mary Renault, publié en 1972.
Si vous vous souvenez, votre humble narratrice avait été légèrement déçue par The Song of Achilles il y a quelques semaines de cela et une amie est venue à sa rescousse en lui conseillant ce magnifique roman historique.
The Persian Boy est le second tome de la trilogie de Mary Renault consacrée à Alexandre le Grand. Vous pouvez bien sûr lire le deuxième tome sans avoir lu le premier, surtout si vous connaissez l’histoire de cette figure légendaire.
Ce roman se concentre donc sur les conquêtes orientales d’Alexandre, de Perse jusqu’à l’Inde. Vous me direz : « mais on a déjà lu ça des milliers de fois » Ce à quoi je vous oppose : « jamais de ce point de vue »
En effet, le narrateur de The Persian Boy n’est nul autre que le garçon perse lui-même. Son nom est Bagoas et il était l’eunuque de Darius III, le roi de Perse mais également son favori. Lorsqu’Alexandre s’empare de la Perse, Bagoas lui est offert comme un geste de bonne foi pour accompagner une demande de paix. (Votre humble narratrice essaye de ne pas tout révéler même s’il s’agit d’un roman historique) Bagoas s’attend donc à être utilisé comme Darius l’a utilisé et est très surpris que ça ne soit pas le cas. Il est intrigué par le Macédonien et très vite des sentiments romantiques vont se mêler à cette curiosité. S’ensuivent des nuits où Bagoas peut utiliser le savoir qu’il a dû apprendre pour Darius et une sublime histoire d’attraction.
Ne levez pas tout de suite les yeux au ciel. Si vous vous attendez à des descriptions graphiques de ce qu’il se passe sous les couvertures ou des déclarations enflammées dignes de romans fleur bleues, vous vous trompez. Même si la relation entre Alexandre et Bagoas est au centre du roman, elle ne prend pas tout la place. Bagoas est certes un eunuque dont le rôle principal est de veiller au plaisir de son maître, il est tout de même issu d’une lignée de nobles persans tombée en disgrâce. Le rôle de Bagoas auprès des rois qu’il sert ressemble plus au rôle d’une geisha que d’une prostituée. Cela implique préparer le roi pour ses conseils, ses rencontres diplomatiques, rester au chevet du roi lorsqu’il est malade ou blessé et faire en sorte qu’il ne se fasse pas tuer. Cela implique également amuser le roi en dehors de la chambre à coucher en chantant, en jouant de la lyre ou en dansant. Bagoas est un jeune homme très occupé.
De plus, Bagoas nous offre un point de vue fascinant : le point de vue d’un perse dans le camp des Macédoniens et des Grecs. Les différences culturelles sont bien évidemment énormes : le roi n’est pas traité de la même manière par ses sujets, qu’il vienne de Macédoine ou de Perse. Les Grecs voient les Perses comme des barbares et les Perses (notamment Bagoas) voient les Grecs comme des barbares. Alexandre essaye de s’interposer, de concilier les deux cultures : celle dans laquelle il a grandi et celle qu’il trouve fascinante grâce à Bagoas. Ce compromis entre les deux cultures entraîne de nombreuses protestations dans le camp des Grecs qui ne sont pas tout à fait heureux d’avoir à adopter les coutumes des peuples qu’ils ont conquis.
Notre narrateur, étant eunuque, ne peut pas non plus participer aux batailles. Il a certes appris à chasser et à se défendre mais il n’est pas un soldat. Il doit donc regarder les conflits se dérouler à distance et s’occuper de ce qui suit : soigner Alexandre, s’occuper des ambassadeurs… Encore une fois, même si la stratégie d’Alexandre le Grand est très intéressante, Bagoas nous permet d’assister à l’arrière plan des conflits. S’il n’est pas invité à participer aux négociations, il se tient discrètement derrière une tapisserie pour écouter. Il se glisse parmi les tentes des soldats pour découvrir des conspirations…
Le récit rétrospectif de notre eunuque est aussi un commentaire sur le récit des historiens. En effet, plusieurs historiens grecs présentent la ”persianisation” d’Alexandre comme une disgrâce, voire la raison de son échec à conquérir le monde. Bagoas nous offre la possibilité de voir les choses sous un nouvel angle : à de nombreuses reprises, il rappelle ce que différents historiens rapportent sur tel ou tel sujet avant de confirmer ou de nuancer ces propos. Cela aurait pu paraître présomptueux de la part de l’auteur mais il se trouve que Mary Renault a été engagée dans de nombreux débats avec quelques historiens contemporains à la sortie de son roman et beaucoup d’historiens aujourd’hui se rangent du côté de son interprétation. Plusieurs détails peuvent vous échapper si vous n’y prêtez pas attention, notamment le parfum d’Alexandre. En effet, Bagoas se rend compte à un moment qu’Alexandre sent très bon et s’apprête à lui demander quels parfums il utilise avant de se rendre compte que, comme tous les Macédoniens, il n’en utilise aucun. Or il se trouve que cette anecdote a été reportée par Plutarque dans ses Vies parallèles d’hommes illustres.
Ce qui est passionnant à propos de Bagoas, c’est sa position d’intermédiaire. Il est dans le camp d’Alexandre mais y apporte ses coutumes persanes. Il n’est pas un soldat mais il n’est pas non plus une femme ou une concubine. C’est un point de vue très intéressant à adopter. Encore un détail à propos de Mary Renault : elle a également eu une relation de très longue durée avec une autre jeune femme. Nous avons donc le point de vue d’un auteur homosexuel sur une relation homosexuelle ce qui est définitivement un point positif même si l’homosexualité n’était pas vue de la même manière à ces deux époques. Indice : les soldats d’Alexandre lui reprochaient plus le fait que son amant soit persan que le fait qu’il soit un homme.
La première partie du roman est entièrement dédiée à la vie de Bagoas avant l’arrivée d’Alexandre, ce qui permet au lecteur de sympathiser avec le narrateur. Le lecteur en a en effet besoin pour supporter de voir ce jeune eunuque s’interposer entre les deux grands amants de l’histoire grecque : Alexandre le Grand et son ami d’enfance Héphaestion. Alexandre comparait souvent sa relation avec son ami d’enfance à celle d’Achille et de Patrocle. Votre humble narratrice vous laissera tirer vos propres conclusions sur la nature de leur relation. Héphaestion n’apparait pas souvent dans le roman : Bagoas et lui s’évitent tacitement tout en restant rivaux pour l’affection de leur roi. Si vous avez tendance à vous attacher aux personnages de romans que vous lisez, attendez-vous à souffrir. Ce qui est étrange vu que nous savons comment l’histoire va se dérouler mais dès que les sentiments sont exposés avec plus de profondeur, nous sommes toujours pris de court.
The Persian Boy est un roman assez long mais sans longueurs. Il vous captivera jusqu’au bout. Si vous ne connaissez pas l’histoire d’Alexandre le Grand, lisez ce roman, si vous connaissez l’histoire d’Alexandre le Grand, lisez ce roman aussi.
L’image ‘à la une’ représente Darius III sur son char lors de la défaite d’Issus face à Alexandre le Grand.
432 pages
Vintage Edition
Anne-Victoire.