The Song of Achilles (Le Chant d’Achille serait mon humble et médiocre traduction) est un roman de Madeline Miller, publié en 2010.
Madeline Miller, professeur de latin et de grec, y raconte la vie de Patrocle et sa relation avec Achille. Si vous vous attendez à un amour tragique rempli de non-dits et de sous-entendus sur la nature amoureuse de leur relation, sachez que vous allez être surpris.
En effet, The Song of Achilles assume totalement la relation homosexuelle entre les deux personnages qui sont montrés comme un couple sans la moindre ambiguité. C’est un point de vue tout à fait rafraîchissant lorsque la plupart des relations homosexuelles qu’on nous présente sont sous-entendues.
A ce moment-là, vous devez me dire : ”fanfiction”. Vous n’avez pas tort. Le fait d’explorer la relation amoureuse entre deux personnages d’une oeuvre pré-existente est le principe des fanfictions (sauf ce qu’on appelle les ”lore-fics” mais ne nous égarons pas) Achille et Patrocle sont probablement le plus vieux ”ship” de l’Histoire. (Un ”ship” veut dire un couple, créé par l’auteur de l’oeuvre original ou par les fans) Aristote l’a évoqué, Alexandre le Grand les adorait et de nombreux débats sur la nature exacte de leur relation ont eu lieu depuis (dans le langage de la fanfiction, on appelle ça des ”ship wars” ce qui ressemble plus à une bataille navale qu’à un siège mais votre humble narratrice va s’éloigner des jeux de mots pour le moment) Le détail le plus amusant de ces débats réside dans le fait que la plupart des Grecs s’accordent sur la nature amoureuse de leur relation mais sont plus indécis quant au ”rôles” d’Achille et Patrocle : Achille est-il l’éromène de Patrocle ou est-ce l’inverse ? C’est encore un débat qu’on retrouve dans les ”ships” d’aujourd’hui. Comme quoi, le Grec vous suivra partout, que vous en ayez conscience ou non.
Pour Madeline Miller, il n’y a aucun doute : Achille et Patrocle sont ensemble. Son roman illustre sa thèse en narrant l’évolution de leur relation depuis leur première rencontre jusqu’au moment moment tragique de la mort de Patrocle et à la réunion des deux amants au Royaume d’Hadès. Ce détail a interpelé votre humble narratrice car elle se souvenait clairement que, dans la catabase d’Ulysse (chant XI de l’Odyssée) on y retrouve un Achille misérable et solitaire, prêt à renoncer à sa gloire pour être encore en vie. Mais Ulysse est peut-être arrivé avant qu’Achille et Patrocle ne se retrouvent.
Arrêtons avec les digressions mythologiques pour parler du roman lui-même. Il s’agit du premier roman de l’auteur et c’est un bon premier roman. On pourrait cependant trouver quelques défauts.
Le premier est sans aucun doute le traitement du personnage d’Agamemnon. Votre humble narratrice est une grande fan d’Agamemnon. Dans ce roman, on dirait une brute épaisse et un mauvais roi. On dirait l’Agamemnon de cette catastrophe qu’a été le film holywoodien Troie. C’est extrêmement décevant parce que le roman vise à montrer une façade plus humaine des personnages, ce qu’ils sont au-delà de leurs grands discours et de leurs prouesses dans les batailles décrites dans l’Iliade. Le personnage d’Agamemnon a une histoire passionnante et mériterait un roman entier. Ici, il n’est que l’antagoniste cruel sur qui le lecteur peut rejeter la faute.
Le deuxième passage qui va vous décevoir est la mort d’Iphigénie. Si vous ne le savez pas, Agamemnon, après avoir décidé que, oui, sacrifier sa fille pour pouvoir partir à la guerre était une bonne décision, fait croire à sa femme, Clytemnestre, qu’il va marier Iphigénie à Achille. Si vous voulez savoir pourquoi mentir à votre femme sur le sacrifice de votre fille est la meilleure décision à prendre, allez regarder comment cette histoire se termine. Donc, le sacrifice d’Iphigénie. Ce mythe a un nombre incalculable de versions et une des questions qui se pose, notamment, concerne Achille : ignorait-il que ce mariage n’était qu’une excuse ? Malheureusement, cette question est répondue de manière assez décevante. L’épisode de la mort d’Iphigénie dure un chapitre, à peine, et non, Achille n’était pas au courant de la supercherie sinon Achille aurait quelque chose à se reprocher et ça ne peut pas arriver avant les trois jours de sa colère.
Il y a énormément de potentiel dans l’idée de reprendre L’Iliade et de raconter les faits de manière plus moderne mais le choix de se concentrer sur Achille et Patrocle demande évidemment de ne pas explorer le reste.
Le troisième concerne l’écriture en elle-même. Votre humble narratrice a déjà évoqué les fanfictions dont elle est une lectrice plus qu’enthousiaste. The Song of Achilles est écrit comme une fanfiction. Eloignez de votre esprit tout ce que vous avez pu lire sur les fanfictions depuis la sortie de cet autre roman dont on ne prononce pas le nom et depuis que les gens décident d’avoir des opinions sur ce qu’ils ne connaissent pas. The Song of Achilles est écrit comme une fanfiction, c’est-à-dire qu’il a tendance a résumer des parties très intéressantes parce qu’elles n’ont pas de rapport direct avec la relation entre Achille et Patrocle. Tous les éléments de l’intrigue qui ne sont pas les deux amants ensemble sont malheureusement négligés. Au contraire, certaines scènes ont un peu trop de détails : honnêtement, le fait que le vent souffle dans les branches d’oliviers pendant qu’Achille plonge son regard dans les yeux de Patrocle n’est pas tout à fait le détail le plus important, surtout quand il n’y a pas vraiment de symbole et que la description est légèrement fleur bleue. Votre humble narratrice espère que vous ne lui retirerez pas son adjectif épithète pour avoir osé dire que le roman compte un certain nombre de maladresses qui n’empêche pas une lecture fluide et captivante mais peut faire soupirer.
Cependant, The Song of Achilles offre un regard nouveau sur l’histoire du siège de Troie et sur le sort des héros. L’histoire est racontée du point de vue de Patrocle qui chante lui-même les prouesses et les faiblesses de son amant. Le point de vue d’un amant permet au lecteur de découvrir les incertitudes et le côté humain d’un des plus grands héros de la littérature occidentale. Dans un moment de vulnérabilité totale, Achille demande à Patrocle : ”Nomme un héros qui a été heureux. C’est impossible.” La mort de Patrocle est également tout à fait atroce mais pas pour les détails impliquant l’hémoglobine versée.
Le fait que l’histoire (et la fin de l’histoire) soit connue est très intéressant et totalement dévastateur. Tout au long du roman, Achille est persuadé qu’il sera le premier à mourir et le lecteur hésite entre rire et pleurer.
Pour conclure, votre humble narratrice vous recommande The Song of Achilles, ne serait-ce que pour découvrir une ré-écriture de la mythologie grecque un peu plus moderne que l’Antigone d’Anouilh.
Ecco
416 pages
Anne-Victoire