Tout a commencé avec la prise de conscience d’un jeune bruxellois, Thomas Mathieu, sur les agressions et le sexisme ordinaire. Après qu’il ait visionné le court-métrage Femme de la rue de Sofie Peeters, il a alors questionné son entourage féminin sur son vécu face à un sujet qui fait de plus en plus parler de lui: le harcèlement de rue. Très rapidement, il s’est rendu compte qu’il s’agit d’un réel problème de société récurent et quotidien et s’est alors décider d’agir à son échelle.
Au fil des pages d’un Tumblr nom Projet Crocodiles (projetcrocodiles.tumblr.com/) Thomas Mathieu s’est alors mis à dessiner les anecdotes et les témoignages des victimes de ces violences verbales et physiques, représentant tous les hommes en crocodiles. Mais pourquoi donc avoir choisit cet animal? « Le crocodile, c’est, pour moi, une image qui englobe de nombreuses idées comme le privilège masculin, le sexisme, les clichés sur le rôle de l’homme et la virilité, et même la peur de croiser quelqu’un dans la rue sans savoir s’il va vous faire du mal. Si j’ai dessiné tous les hommes en crocodiles, c’est qu’il s’agit d’un problème de société et pas de quelques cas isolés. »
Premier point positif pour l’auteur, qui ne caricature pas les hommes selon l’idée dangereusement anti-féministe qu’ils sont sans aucune exception des prédateurs absolus, mais plutôt des personnes éduquées sous le joug de stéréotypes forts. Dans certains strips, il s’avère même qu’un crocodile soit victime de sa condition d’homme (et donc d’être perçu comme un harcerleur) face à des femmes trop habituées à être importunées, ou encore qu’il remette ses congénères en place suite à des remarques déplacées.
Deuxième réussite, donc, de Thomas Mathieu, qui place les deux sexes sur un pieds d’égalité, ne mettant pas tous les hommes dans le même panier!
De la remarque déplacée à l’agression physique avec coups et blessures, en passant par l’homophobie et le viol conjugal, la grande majorité des faits retranscrits sont révoltants. Ces témoignages tristement vrais font écho au quotidien des femmes dans une société qui pourtant se veut évoluée et respectueuses des droits de l’Homme… Les lectrices des Crocodiles se reconnaitront sans aucun doute dans au moins un des strips, car pas une seule femme n’a jamais été victime de cela, à une échelle plus ou moins grave mais toujours marquée par l’irrespect et le patriarcat. Il se peut même que des lecteurs se rendent compte qu’ils ont parfois endossés un costume de prédateur relou sans même vraiment avoir saisi la gravité de leur acte.
Comme Thomas Mathieu ne plonge pas dans le piège de la sur-victimisation des femmes et la diabolisation des hommes: certaines de ces histoires inversent parfois les rôles ou décrivent des réactions positives et courageuses venant des deux sexes qui donnent espoirs. A travers ce projet, il brosse un portrait réaliste d’un réel problème qui commence à faire de plus en plus réagir et propose des solutions intelligentes à la fin de son album. Tirant ses idées de sources telles que le site Hollablack, le site anglais Stop Street Harassment et le livre Non c’est non d’Irène Zeilinger, il explique certains points faciles à retenir en cas d’agression sur sois-même ou sur autrui, en insistant sur le fait souvent oublié que la victime n’est en aucun cas responsable du harcèlement qu’elle a subi, quelque soit la longueur de sa jupe, l’heure à laquelle elle est rentrée ou bien l’endroit où elle a été accostée. Elle ne doit pas être tournée en dérision et encore moins être accusée d’être la coupable ou l’aguicheuse (réactions trop souvent relevées qui inversent alors les rôles entre le harceleur et sa proie).
Prenant du recul sur ce Projet Crocodile et remarquant que celui-ci suscite beaucoup de questions et de réactions de sa part et de celle du lecteur, Thomas Mathieu a même invité quatre personnes à prendre leurs plumes pour rédiger une postface autour des thématiques suivantes: Pourquoi avoir représenté tous les hommes en crocodiles? L’élastique et le crocodile Occupy the internet et enfin Stop au harcèlement de rue.
Rédigé respectivement par Lauren Plume du blog lesquestionscomposent.fr, Irene Zelinger, Anne-Charlotte Husson du blog Genre! cafaitgenre.org et par le collectif Stop harcèlement de rue, ces pages sont une mine d’informations venant encore plus appuyer l’album et apportant de l’espoir, du soutien et des solutions pour venir à bout de ce problème de société.
Je ne peux qu’encourager les personnes de tout sexe et de tout genre à lire ce recueil pour y puiser la force de réagir et ne pas rester simple témoin. A lire du début à la fin, pour se redonner de la force et du courage ou pour prendre conscience du problème du harcèlement de rue et du sexisme ordinaire, Les Crocodiles est un album sociologique qui ne tombe pas dans les clichés ou le jugement. Thomas Mathieu y aborde un sujet nécéssaire qui fait actuellement couler beaucoup d’encre, mais dont la prise de conscience reste encore bien trop faible.
Editions Le Lombard
174 pages
Caroline