Notre histoire se passe dans la belle Rome. Une année sans été, suivie d’une autre sans hiver ont fait fuir les Romains de leur ville, remplacés par les Chinois. Canicule aidant, la vie s’est déplacée la nuit et les ruines antiques ont cédé la place aux néons criards. Le dernier des Romains (ou presque) , lui, est en prison pour meurtre.
Artiste uniquement dans l’âme, anciennement directeur d’une galerie d’art, il décide de rester en ville alors que les températures ne baissent pas et que les habitants migrent vers le nord. Après un calcul minutieux de ses économies il établit un plan de vie basé sur l’oisiveté avec en point d’orgue de ses soirées la dégustation de bière glacée en regardant danser les prostituées de la Cité interdite en toute quiétude. Jusqu’au jour de sa rencontre avec Wang, homme mystérieux aux chemises étranges avec un côté mafieux, puis avec la belle Yin, l’une des prostituées du bar. Bien évidemment, il en tombera amoureux, et ce sera le début de la fin.
China city
Après des millénaires d’existence, Rome succombe à son ultime invasion barbare. Les gargotes à nouilles remplacent les pizzérias, les bordels prennent la place des gelaterie et les pousse-pousses rivalisent facilement avec les vespas. Suite à la hausse prodigieuse du mercure, qui culmine à 50° en journée, les Romains partent chercher l’air frais du Nord, laissant la place aux Chinois qui s’approprient les commerces, les rues et les institutions. Avides, fourbes et intéressés, ceux-ci n’ont aucun scrupule à dénigrer et arnaquer les Italiens restants et à imposer leur mode de vie et de pensée. Les journaux sont remplis d’idéogrammes et les plus hauts postes occupés par les ressortissants d’extrême-orient. Plus aptes à s’adapter aux changements, plus pragmatiques, les Chinois n’ont aucun mal à s’imposer dans la ville éternelle et à la gérer, esseulée, comme bon leur semble.
Sermon sur la chute de Rome
Dans Cinacittà, Tommaso Pincio nous conte d’abord la chute d’un homme. Un homme petit, anonyme, pas forcément très rayonnant mais néanmoins attachant. Flemmard, passif, critique, caricatural, c’est à travers ses yeux que nous découvrons la nouvelle Rome, sous domination chinoise. Ne mâchant pas ses mots sur les nouveaux maîtres, il les décrit comme un peuple haïssable, égoïste, qui n’a aucune morale et ne pense d’abord qu’à ses intérêts propres. Mais ce tableau sert surtout à illustrer les peurs d’une époque: réchauffement climatique, dévaluation de la monnaie, perte de contrôle, émergence de la Chine en nouvelle puissance économique, incapacité à agir, à avoir la main sur les changements mondiaux… Si les clichés du narrateur n’épargnent pas les Chinois, les italiens ne sont pas en reste: indolents, fuyants, figés dans une scène de Dolce Vita devant la fontaine de Trevi, le Romain se complaît dans son image romantique et se retrouve incapable de prendre la mesure du moindre événement.
La narration morcelée nous emmène tant dans la vie inconstante du narrateur que dans les derniers sursauts d’une ville qui a plié sous le poids de son reflet et qui ne renvoie plus d’elle qu’une image surannée.
Distillant au fil des pensées digressives de son personnage principal les indices sur l’intrigue majeure du roman, Tommaso Pincio (oui oui, c’est un pseudo en hommage à Thomas Pynchon!) nous livre une enquête passionnante doublée d’une illustration du ressentiment d’une société peureuse et passive qui cherche une réponse simpliste à des problèmes qu’elle n’arrive pas à affronter, le tout avec une maîtrise de l’écriture et une construction impressionnante. Un petit bijou!
Asphalte
308 pages
Marcelline