Qu’est-ce qui caractérise l’humanité, l’empathie ou le civisme ? Est-ce que ce sont des caractéristiques inhérentes aux traits humains, qui nous définissent à travers les époques et le temps, et nous différencient des autres espèces vivantes ? Si nous supprimions ces aspect-là serions-nous toujours considérés comme humains ? Ou bien serions nous une autre forme vivante, une mutation ou encore une régression ?
« Ça doit être à cause du ciel qu’on s’est mis à marcher tête baissée. On concentre notre regard sur les imperfections du sol crasseux, sur les iles anamorphiques des lattes en bois dur, toute cette mémoire que se forge le nourrisson en regardant les traces sur le linoléum. En fait interpréter la terre plate est devenu une telle obsession qu’on bute plus souvent les uns contre les autres, au point qu’on nous met en garde, attention danger, levez les yeux, pas trop haut, pas au-dessus mais devant, attention aux obstacles, regardez votre objectif, votre destination ; comme ça vous comprendrez le monde en obéissant à l’intention de la nature : une réalité devant nous. »
Le narrateur de ce court texte est la figure humaine de ce récit, les restes de notre civilisation dans un monde en mouvement. Un Monde qui a muté en quelque chose d’autres, que nous, lecteurs, avons du mal à percevoir au début, mais que le narrateur s’efforce de nous retransmettre par petites touches. Il y aurait eu un virus, une infection globale, les morts ne mourraient plus. On peut appeler cela l’ère des zombies, mais le terme, à cause de l’imagerie populaire, ne serait pas juste. Les morts s’agitent encore, mais sont globalement inoffensif pour le vivant.
Ce qui posa problème assez rapidement… ce fut cet amoncellement de corps. Que faire de tous les morts ? Les incinérer ? Les couler ? Les enterrer ? Rien à marcher, jusqu’au jour où une société privée proposa d’envoyer en orbite terrestre les cadavres ! Proposant une solution plus poétique et saine pour les vivants, Une solution qui sur le papier était brillante, mais qui dans la réalité devint problématique. La lumière du soleil changea, la météo aussi, le moral avec, des nouveaux phénomènes météo se produisirent dès lors.
Nous découvrons le narrateur à la recherche d’un enfant pour accéder à une soirée, il lui faut absolument un enfant, sinon il ne pourra pas entrer. La finalité … notre homme cherche une ancienne connaissance, un ancien soldat comme lui, devenu un tortionnaire et un vendeur ! Il faut comprendre par-là, qu’il se charge de trouver des cadavres pour ladite société.
Notre narrateur/chasseur de prime évolue dans ce monde ou subsiste un ersatz d’humanité sous un ciel aussi joyeux et rassurant que l’intérieur d’un cercueil. Sa traque de Dixon, sa mission, va le mener de ville en ville, découvrant ce que ce dernier a pu faire, tortures, massacres, viols, nécrophilies, rien n’échappe à cet esprit tordu et sanguinaire. Une cartographie désenchantée d’un monde en péril où l’on tente de survivre coûte que coûte.
Après Cashtown et Idaho Winter ( Ed. Les Allusifs), Tony Burgess revient encore plus dérangé et habité qu’à son habitude. Dans ce court roman il offre un portrait désabusé et pessimiste de notre humanité qui a su pousser le consumérisme jusqu’à marchander la mort. Le cadavre devenant objet et marchandise, laissant le loisir à toute forme de barbarie pour certains. Dans une écriture fluide et direct l’auteur n’épargne jamais le lecteur, que ce soit dans les ambiances, les dialogues ou encore les descriptions ne vous attendez pas à la moindre légèreté.
On pourrait rapprocher Tony Burgess aux auteurs de la trempe de McCarthy ou Evenson à ceci prêt que les propos diffèrent entre ces trois-là. Là où nous découvrons la déliquescence de l’humanité ou bien la poésie macabre chez les deux premiers, Burgess frappe directement en pleine face en offrant un spectacle volontairement sensationnaliste et sans empahse. Ça tord les tripes, met à mal l’esprit et fait pas mal réfléchir, mais à aucun moment vous ne pourrez relâcher le livre.
« Vivre ici, ça peut aussi être excitant. Les défis sont immenses, mais on les affronte en bottes de cuir et casquette à lanières, et plus la peine de vous demander si le monde vous prend pour un héros. Vous êtes un héros. Tout simplement parce que vous vous foutez d’être en vie. Et ça vaut mieux que de marcher dans la rue tête baissée, en desserrant vos poings dans l’espoir de les détendre un peu. C’est sans espoir. Si vous pensez que tout ça va se terminer en cancer et enfantillages, alors tout est foutu. Rien n’est possible. Mieux vaut ne jamais être né. »
Une question néanmoins s’offre au lecteur, finalement, l’humanité ne serait-ce pas tout simplement ce que dicte la masse ! Notre narrateur ne serait ‘il pas tout simplement devenu une bête en gardant les anciennes valeurs ?
Avis aux lecteurs sensibles, ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains.
Actes Sud,
Collection Exofiction,
Trad. Hélène Frappat,
192 pages,
Ted.