Difficile de se prêter à l’exercice des tops 5 (ou 10 ou 15) de l’année. Déjà parce qu’on aurait envie de mettre des livres qui nous ont certes marqué en 2016, mais dont ce n’est pas nécessairement l’année de leur parution. Il n’y a pas de date pour découvrir les grands auteurs et la littérature se fiche éperdument de l’heure qu’il est, ce dont on lui sait gré !
Ensuite parce qu’il faut en choisir cinq alors qu’on doit l’avouer, quand on commence une liste de ce genre il est ardu de s’arrêter. Enfin parce que c’est l’occasion d’un bilan de lecture.
De ce point de vue je découvre en écrivant ces lignes une certaine cohérence quant à mes domaines de prédilection (littérature de l’absurde, de la folie, d’une ironie certaine et d’une angoisse sociale plus ou moins profonde), ce qui me rassure sur mon profil de lectrice et m’inquiète un peu pour le reste… il sera toujours temps d’y penser plus tard. Lançons-nous.
L’installation de la Peur, Rui Zink – éditions Agullo
Effaré par la manipulation politique et médiatique de nos peurs, qu’il a comparé, lors d’une rencontre à la librairie portugaise et brésilienne de Paris, au travail des baleiniers qui piquent sans cesse la baleine avec la pointe de leur harpon jusqu’à épuisement de l’animal, Rui Zink signe un roman absolument brillant. Ce huis-clos cynique, drôle et angoissant, où deux agents gouvernementaux demandent à une femme d’accepter la peur comme devoir patriotique montre les dangers de jouer avec leu feu. Roman visionnaire, absurde et poétique : un vrai régal.
La chronique de L’installation de la peur est ici
La pièce, Jonas Karlsson éditions Actes Sud
Quel étrange personnage que ce Björn qu’on adore détester. Maniaque, parano, autocentré et carriériste, il est le pur produit de l’Administration. Avec le caractère problématique de Björn, Jonas Karlsson dénonce un système qui broie les humains dans une uniformité malsaine et nocive. Björn pousse les caractéristiques requises du système jusqu’à ses extrêmes limites. Avec une écriture incisive et laconique Karlsson offre belle réflexion sur l’absurdité du monde du travail. Brillant.
Pour lire la chronique de La pièce cliquez ici
Matteo a perdu son emploi, Gonçalo M. Tavares – éditions Viviane Hamy
27 récits ordonnés alphabétiquement qui, comme une chute de dominos, amènent à l’histoire centrale, celle de Matteo qui a perdu son emploi et qui se voit contraint de travailler pour une femme à qui il manque les bras. Les personnages tour à tour placés dans des situations à l’absurdité rocambolesques sont tous le prétexte à de sérieuses réflexions philosophiques. Mais chez Tavares, ami de l’Oulipo, le sérieux est toujours porté par une écriture fluide, un parcours ludique et la lecture n’est jamais entravée. Encore une fois il nous offre un bijou de roman où la solitude, l’exclusion et l’angoisse sociale se heurtent dans un joyeux bazar organisé.
La chronique de Matteo a perdu son emploi est ici
J’ai toujours ton cœur avec moi, Soffía Bjarnadóttir – éditions Zulma
Magnifique premier roman de l’islandaise Soffía Bjarnadóttir ! J’ai toujours ton cœur avec moi raconte l’histoire du deuil d’une femme qui vient de perdre sa mère. L’héritage qui accompagne la perte la lance sur la route des souvenirs, dans la petite maison de l’île de Flatey. Mémoire d’une enfance brisée par la folie maternelle, le récit se construit dans un lyrisme délicat. Un roman dont la beauté rivalise avec la puissance évocatrice, qui raconte une histoire de rupture et de renaissance. Fait des morcellements éparpillés de la mémoire et de symboles il aborde le thème de la folie et de la perte avec une grâce étrange, presque irréelle.
Pour découvrir J’ai toujours ton coeur avec moi, rendez-vous ici
Ravive, Romain Verger – éditions de l’Ogre
A travers les neufs récits qui composent l’oeuvre, l’auteur, dont l’écriture sensuelle, sensorielle, prend corps sous nos yeux. Elle nous amène dans un territoire familier mais inconnu où la fascination le dispute à la répulsion, où le grotesque côtoie le sublime. Dans Ravive rien n’est gratuit. Les personnages sont confrontés à des situations qui, d’une apparente normalité, basculent dans une sorte de fantasmagorie parfois véritablement terrifiante. L’écriture de Romain Verger, avec en toile de fond une inquiétude sourde, est un pont entre plusieurs pôles antagonistes qu’elle polarise avec une grâce confondante. Elle éventre, fouille, étale, explore, éviscère ses sujets, dissèque le langage et en extrait la “substantifique moelle”. Un livre qui va chercher l’angoisse là où elle est tapie, la révèle au grand jour et, finalement, dans chaque difformité on voit une arabesque. On le trouve beau ce monstre étrange qui terrifie autant qu’il émerveille. Un grand choc.
La chronique de Ravive est par ici, et pour lire notre entretien avec Romain Verger c’est par là.
Hédia