Cette année a été très riche en parutions littéraires en tout genre; j’ai eu la chance de découvrir de nouveaux auteurs talentueux, de nouvelles maisons d’éditions au catalogue rempli de petits bijoux et de lire des textes qui m’ont permis de grandir et de m’ouvrir un peu plus au monde.
Il est toujours un peu complexe de faire un top 5 parmi autant de belles découvertes, mais cette fois-ci c’est autour d’auteures et de féministes que se portent mes coups de cœur. On y trouve une petite fille monstre, des dessins chuchotés, une île mystérieuse, des vulves qui prennent la parole et des pages qui ne doivent pas être tournées.
Voyage en République de Crabe, de Tarmasz.
112 pages, Editions Delcourt.
Tarmasz est une jeune artiste qui excelle depuis quelques années dans les domaines de l’illustration et du tatouage. Voyage en République de Crabe est sa toute première bande-dessinée publiée. On y suit Maya, une livreuse de l’extrême devant apporté dans les plus brefs délais un colis en plein cœur d’un archipel reculé et coupé du reste du monde. A travers un journal de bord fourni, on découvre les us et coutumes des habitants de cet îlot isolé, à la faune et à la flore toutes particulières.
Agrémenté de planches anatomiques et d’herbiers dessinés, Voyage en République de Crabe est une aventure qui se lit d’une traite.
Les connaisseurs du travail détaillé, riche et à la ligne si reconnaissable de Tarmasz seront à coup sûr ravis de lire cette première BD qui saura également séduire les amateurs d’ambiances à la fois folklorique et contemporaine.
Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, d’Emil Ferris.
416 pages, Editions Monsieur Toussaint Louverture.
Comment passer à côté de cette bombe du neuvième art qui vient d’ailleurs tout juste de remporter le Grand Prix de la critique ACBD et d’être dans la sélection officielle du festival d’Angoulême 2019?Tout d’abord il faut savoir qu’Emil Ferris a écrit Moi, ce que j’aime, c’est les monstres sur une période de pas moins de 6 ans, suite à une lourde maladie qui l’avait privée d’une grande partie de sa mobilité.
Entièrement réalisé au stylo bille, ce livre est une vraie claque visuelle et narrative, où l’on ressent le combat pour la vie et l’espoir.
Journal intime illustré de Karen, petite fille préférant s’imaginer dans la peau d’une louve garou pour se détacher d’un quotidien trop douloureux, cet OVNI littéraire traite aussi bien de la perte de l’innocence, de la brutalité historique humaines que de l’échappatoire parfois nécéssaire des rêves et des souvenirs, le tout agrémenté dans un style polar et fantastique.
Grand frère à la fois sur protecteur, sensible et sanguin, mère isolée pleine de croyance et de superstition, voisine au passé sombre et à la mort brutale… Avec sa palette de personnages torturés, aussi bestiales que profondément humains et surtout le dessin incroyablement maitrisé et coloré, moi, ce que j’aime, c’est les monstres est sans doute LA sortie bd de l’année 2017.
Emilie Plateau.
Petits, tout petits dessins en noir et blanc, personnages discrets qui rétrécissent quand ils sont submergés par leurs émotions et décors minimalistes de théâtre, voici un bref aperçu de l’univers délicat d’Emilie Plateau.
Auteures de fanzines auto-publiés et de romans graphiques, elle raconte des bouts de vie avec humilité et une grande dose d’empathie. Lire une bande-dessinée d’Emilie plateau c’est comme entendre ses protagonistes nous chuchoter leurs histoires au creux de l’oreille; c’est doux, poignant, rigolo et parfois triste, on s’attache vite à ce macrocosme et à cette narration sensible.
Que ce soit dans De l’autre côté, à Montréal où elle parle de son aventure d’illustratrice au Canada ou bien dans Moi non plus où elle évoque une histoire douloureuse avec son ex-petite amie et le travail de reconstruction qui en suit, Emilie Plateau a la particularité de savoir traiter de sujets personnels avec discrétion et douceur.
Par ailleurs, sa prochaine publication est prévue pour janvier 2019 et s’intitulera Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin (aux Editions Dargaud).
Ne tournez pas la page, de Seray Şahiner.
151 pages, Belleville Editions.
Les Editions Belleville ont débuté leur aventure avec la publication de La Coiffure de la mariée, de Seray Şahiner. Cette année, elles ont sélectionné un deuxième ouvrage de cette auteure turque pour leur projet Les femmes lèvent le poing.
C’est avec grand plaisir que l’on retrouve son écriture franche à travers un roman résolument féministe abordant le sujet des violences domestiques et du machisme ordinaire. Ne tournez pas la page raconte la lutte quotidienne d’une jeune fille en proie aux traditions culturelles de sa famille et de sa condition, qui tombe amoureuse du mauvais homme et se voit contrainte à en épouser un autre. On y suit son quotidien, où les coups pleuvent, où les ecchymoses et les cris sont sus de tous mais où tout le monde choisit de détourner le regard… Jusqu’à ce que l’ilèductable arrive.
A l’heure de Me Too, de la prise de conscience autour de la stigmatisation de la place de la femme dans le monde, Ne tournez pas la page est un cri de rage et de révolte qui nous incite à se réveiller et à réfléchir.
Liv Strömquist.
Avec humour et intelligence, Liv Strömquist parle de la condition féminine à travers les époques et les moeurs, tout en s’intéressant aux thématiques sociales contemporaines. Cette journaliste de télévision et animatrice de radio est aussi une auteure de bandes-dessinées ayant la particularité d’être très bien documentées.
L’origine du monde et I’m every women, toutes deux publiées aux Editions Rakham, abordent respectivement les « hommes qui se sont un peu trop intéressés à ce qu’on appelle les « organes féminins » ainsi que de la vulve inconnues et du mystérieux clitoris et enfin des « pires petits amis de l’Histoire », de la famille nucléaire, des enfants ultra-conservateurs et des Barbapapas genrés.
Féministe et engagée, Liv Strömquist propose des ouvrages à la fois très pédagogues et incisifs, soulevant les incongruités autour du sexe féminin et de la femme en règle générale, incongruités qui sont encore fortement dominantes aujourd’hui. Ses BD mériteraient d’être lues par le plus grand nombre, dans un soucis d’égalité des sexes et des genres.
Caroline