Ulli Lust – Trop n’est pas assez
Elles ont 17 ans, elles sont punks, elles n’ont pas une thune et elles décident de partir en Italie. Voilà le sujet de la bande dessinée autobiographique de l’auteure autrichienne Ulli Lust, Trop n’est pas assez.
L’histoire commence à Vienne, dans un appart sale. Ulli se sent à l’étroit dans la ville, au milieu des mêmes potes et des mêmes activités : etre punk ça paye pas trop et au bout d’un moment ça devient lassant de se tatouer et de gratter des clopes. Elle rencontre Eddie, tout l’inverse d’elle : niaise, précieuse, hypersexuelle, manipulatrice. Mais le courant passe tout de suite et Ulli la suit dans son idée folle : elles partiront en Italie avec une couverture et quelques centimes.
Commence alors la narration brute des aventures des deux copines. Il s’offre à nous un récit initiatique très destroy : froid, faim, nuits dehors, manche et morpions. Au milieu de tout ça, des rencontres viennent distillé un peu de chaos dans la vie des adolescentes. Elles rencontrent surtout des hommes, car les autres filles ne voyagent pas seules. Et les hommes s’avéreront pire que le froid et la faim. Du moine bouddhiste au petit maffieux : il faut se méfier de tous, car tous sont des agresseurs en puissance . Pas que cela soit une généralité grossière de la part d’Ulli, comme leurs explique Andreas, leur ami mac héroïnomane (rare homme à ne pas être trop dangereux pour elles). Ici, les filles restent à la maison en attendant de se marier et de faire des enfants, deux autrichiennes sans peigne ni soutif c’est la panique générale. Ces expériences violentes viennent noircir le road trip : voilà à quoi cela ressemble quand c’est deux jeunes femmes qui décident de partir sur la route. Voilà l’Italie et toutes les possibilités d’aventures romanesques qu’elle offre, voilà les italiens et leur sang chaud. Le livre ne se positionne pas contre les grands récits initiatiques underground typiquement masculins de la beat generation mais une voix venant ajouter un récit féminin à cette imagerie reste rafraîchissante.
Les deux jeunes femmes sont à la recherche d’intensité, ce qui peut sembler logique pour des adolescentes. Mais leur voyage n’est réellement motivé que part cet aspect, il n’y a pas de recherche d’inspiration artistique, de découverte de soi ou d’aspirations philosophiques. Juste tromper l’ennui. Et qu’il est agréable de voir juste des filles qui s’en foutent, qui veulent tout apprendre d’un coup, dans la vivacité de l’instant présent.
L’énergie underground est aussi présente graphiquement. Noir et blanc, traits nerveux et visages caricaturaux. L’inverse du carnet de voyage plein de soleils couchants et d’annotations faussement brouillonnes. Ici, l’Italie est grouillante et grise, nous aurons droit à une page avec l’opéra Carmen au Colisée et ce sera tout pour le tourisme (ensuite elles iront voir les Clash). Les mecs dégueulasses sont dégueulasses, le noir autour des yeux fait des kilomètres et les pétages de câbles sont distordus et violents. Tout cela pour porter des émotions brutes et impactantes, à l’image du récit.
Trop n’est pas assez est une histoire dure mais portée par une voix forte qui veut être entendue. Au-delà d’un hommage à la culture punk des années 80, on y trouve nombre de réflexion féministe sur la sexualité, l’adolescence et les relations hommes/femmes. Sans misérabilisme mais sans concessions : une autobiographie nécessaire.
Trop n’est pas assez, Ulli Lust
Traduit de l’autrichien par Jorg Stickan
2010 Editions çà et là
Andy