Père de famille récemment divorcé, le procureur Teodore Szacki a dû quitter Varsovie pour la jolie et paisible bourgade de Sandomierz. Exilé, seul, l’homme se distrait avec quelques affaires plutôt ennuyeuses eu égard à ce qu’il a pu accomplir professionnellement à la capitale.
Le procureur est un homme froid, sûr de lui, corrosif, souvent excessif et s’il est l’archétype du mec détestable, il est en réalité difficile de s’en détacher tant il est complexe. D’un charisme subtil et d’une intelligence implacable, Teodore Szacki attire les femmes et sait apprivoiser les protagonistes-clés à l’enquête pour obtenir ce qu’il attend d’eux. Cette enquête est pour lui l’opportunité de coincer le criminel, de tester ses talents de détective mais c’est aussi l’occasion de rassembler les morceaux de sa vie bouleversée. Poursuivre et résoudre l’enquête pour échapper à l’ennui et aux regrets d’un mariage qu’il aura fait saboter.
« Le procureur Teodore Szacki détestait le froid, les affaires stupides, les avocats incompétents et les tribunaux de province. Ce matin-là, il reçut une dose de cheval de chacune de ces substances ».
L’enquête c’est d’abord un corps de femme retrouvé devant l’ancienne synagogue, une mise en scène parfaite dans le froid sibérien de la nuit. La neige a conservé impeccablement ce corps blanchâtre dont la gorge a été lacérée avec hystérie. Vidée de son sang à la manière du rite sacrificiel juif, le meurtre d’Ela déchaine les passions et soulève le cœur de Sandormierz. Tout le monde connaissait et aimait Ela et c’est une véritable tragédie qui secoue les habitants de la petite ville.
Dans les méandres d’un passé encore à vif, Teodore doit nager à contre-courant des sursauts antisémites, se défaire de ce passé qui l’enchevêtre pour retourner à la source de ses intuitions qui ne trompent pas. C’est une lutte entêtante avec le mensonge qui s’enclenche, une course contre la montre pour cette quête de la vérité, ce « fond de vérité » qui sommeille en toute légende. Car nombreux sont les obstacles à franchir, la peur des uns, la haine des autres avec pour décor ces légendes juives qui résonnent encore, effroyables.
« Les hurlements des animaux damnés étaient désormais de plus en plus proches. Teodore n’arrivait pas à se départir de l’idée qu’il se tenait au milieu de la route pris dans le halo des phares d’une voiture lancée vers lui et qu’au lieu de bondir sur le bas-côté, il se mettait à charger dans sa direction ».
L’écriture est brillante, haletante, le portrait du procureur est façonné avec minutie et c’est cet amour du détail qui nous fait aimer le personnage dans toute sa complexité. Un fond de vérité est un roman immersif et passionnant, sans fausse note. La traduction est virtuose, d’une fluidité qui permet à l’intrigue de ne jamais avoir à reprendre son souffle. C’est un pur instant de lecture à côté duquel il ne faut pas passer. La seule déception surgit lorsqu’il vous faut refermer le livre et vous dire que c’est terminé… avec d’emblée l’envie furieuse de retrouver Teodore Szacki et Zygmunt Miloszewski pour une nouvelle enquête.
Éditions Mirobole
Traduit du polonais par Kamil Barbarsky
470 pages
Lucie
C’est aussi un roman très en phase avec la conscience historique des Polonais que les souvenirs de la guerre travaillent toujours. Un réussite oui, à tel point qu’on attend le troisième avec impatience !