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Un temps pour mourir – André Masson

Comme l’explique finement Eric Dussert dans la préface d’Un temps pour mourir, il surgit parfois dans l’histoire de la littérature ou des arts des « fratries créatrices », les sœurs Brontë étant l’exemple par excellence. C’est également le cas pour la famille Masson, installée sur l’Île Maurice depuis 1753. André (1921-1988), Loys (1915-1969) et Hervé (1919-1990) choisirent chacun de s’orienter vers la création littéraire ou artistique, et l’on trouve dans leurs œuvres une continuité, un « air de famille ».
Ce fil rouge entre les trois frères apparaît dans le subtil mélange de foi catholique et de convictions politiques fortement ancrées à gauche. Loys sera militant communiste, Hervé séjournera en prison pour ses valeurs politiques trop révolutionnaire, et André sera reconnu pour ses qualités de journaliste et pour ses violents pamphlets.


La colère du vent et le vice obscur des pierres, il les retrouvait, portés au paroxysme, chez les fidèles de sa petite paroisse de Sainte-Lutgarde dans la montagne. Les infidèles plutôt, puisqu’à peu près tout le village de Verfeuille – cent familles environ – s’abstenait des sacrements. Des possédés ! Pas des possédés du démon, comme l’entend l’antique théologie. Un exorcisme eut vite expédié Satan au creux des rochers de la Varoume, l’épaisse et méchante rivière qui dévalait à quatre ou cinq kilomètres à l’ouest. C’était mal plus complexe, aux racines plus tortueuses que celles des pitchpins. L’orgueil et la luxure en pays de solitude !

Un temps pour mourir fut écrit en 1962 par André Masson. Quelques mois auparavant, le cyclone Carol, qui venait de ravager l’île Maurice (février 1960), lui inspira le contexte de son roman.
Le village de Verfeuille, construit sur un plateau montagneux, surplombe le bourg de Rémur et la ville d’Emubranche. Vivant presque exclusivement de l’élevage, ses habitants forment une communauté soudée, bien que complexe. Pensalon-les-morts, sorte de diable fou et haineux, garde le cimetière, furieux de n’avoir pas plus de corps à ensevelir. Le père Hildefonce veille sur sa paroisse, inquiet du désintérêt de ses ouailles pour le salut de leurs âmes. Faucin le boulanger s’occupe de son fournil, quand Hilfon se consacre à son troupeau.
Mais lorsqu’approche une violente tempête, annoncée par de vieilles légendes transmises de génération en génération, les tensions vont s’accroître et la communauté sera mise à l’épreuve.

Bacholet s’avance au milieu de la pièce. Son optimisme du matin avait fait place à une colère panique. Il se frappa la poitrine et, de toute la force de sa voix :

Crevez tous à la fois, avec vos conseils et vos coups de main !

Et comme Mercas s’approchait de lui, il le prit par les épaules :
-Tu n’as donc pas compris, charpentier ? Izard vient de dire que tout tes muscles ensemble ne pourront pas empêcher ta solide maison de s’envoler dans la plaine comme une feuille de platane.
Il fondit en larmes, son gros corps secoué de bas en haut :

Comment voulez-vous, mes amis, que mon petit gosse, mon premier, résiste, dans le ventre d’une pauvre femme, à la malédiction ? Vous voyez ça d’ici ? Cet enfant qui sort, tout cramoisi, sous un toit que le vent emporte à coup de marteau ? Et la pluie, la voyez-vous ? Et le noir, toutes les bougies soufflées ?
Il tomba sur un tabouret, le visage dans les mains :

Et mon épicerie ? Balayée !…Qu’allons nous devenir !

À mi-chemin entre récit pastoral et vision apocalyptique, Un temps pour mourir, dont le titre provient d’une citation de l’Ecclésiaste, est un magnifique roman à l’intrigue menée par la violence du cyclone et de ses bourrasques. Ses personnages, confrontés à la tourmente de la pluie et du vent, se questionnent, reviennent sur leurs souvenirs, leurs actions passées. Fortement tourné vers la question religieuse, notamment avec l’importance du père Hildefonce, Un temps pour mourir replace l’homme face à plus grand que lui : (les) Dieu(x), ou la Nature. Cette tempête est-elle un châtiment divin, lancé contre les habitants de Verfeuille qui ne croient plus, ou est-elle due à la Nature aveugle ?

André Masson est un écrivain virtuose. Sous sa plume, la nature s’anime et donne toute sa sauvagerie, bien qu’il soit tout aussi doué en description somptueuse et tranquille du Plateau de Verfeuille.
Les personnages, la vingtaine d’habitants du village, sont fouillés et l’on se surprend à ressentir leurs peurs et à vibrer avec eux des frappes de la tempête. Eric Dussert, dans sa préface, rappelle que le roman fut qualifié, à sa sortie, d’« épopée où Pan danse devant saint Augustin ».

Père Pan, les morts sont annoncés ! A bientôt! Que le cyclone referme lui-même ta tombe.
Et il galopa comme un cheval à travers Verfeuille, sans se retourner, droit vers le Gorol où les torrents, dans leurs passions, commençaient à emporter les roches et les arbres. Il remonta l’Emieure comme une flèche, malgré le vent contraire, s’arrêta un moment, la tête baissée, pour regarder venir, du coté de Vlame, des paquets de pluies pulvérisée ; puis, d’un seul trait, à plein souffle, nerveux, les mâchoires et les poings serrés, infatigable, il atteignit l’orée de la forêt, distingua, en contrebas, la rivière-des-Caladiums sortie de son lit, poussa un cri de bête – peut-être pour saluer un vieil arbre, et commença à gravir un sentier de chèvre.

Un temps pour mourir est un roman intemporel. Le plateau de Verfeuille pourrait être situé sur l’île Maurice comme en Suisse, ou en Asie. La touche légère du créole, lors de description de la faune et de la flore ou dans certains noms francisés, pourrait être une très légère indication. C’est que le livre peut se lire comme une parabole universelle, à la sombre morale : l’homme est mauvais, et nul ne pourra le sauver.

Une réédition d’un livre oublié, magnifique et dense !

Un temps pour mourir,
André Masson,
Edition du typhon,
349 p.

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Chroniqueur

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