L’intrigue est plutôt simple: Isserley est une jeune femme qui arpente une route, la A9, en Ecosse toute la journée pour repérer des auto-stoppeurs. Mais elle ne prend pas n’importe qui : ils doivent être musclés, grands, en bonne santé… La base. Mais les apparences vous trompent : Isserley n’est pas une sex addict. Elle est plutôt une… chasseresse.
Pour être plus précise, elle ne ramène pas les hommes chez elle pour partager son lit mais pour en faire des steaks. Littéralement. Mais Isserley n’est pas la nouvelle Hannibal non plus. Elle est ce que nous, lecteurs, pourrions qualifier d’extra-terrestre. Je m’arrête un instant sur ce problème : on ne sait pas vraiment d’où vient la jeune femme. Il est question d’un autre monde mais on ne sait pas s’il s’agit d’une autre planète ou de la Terre d’un futur post-apocalyptique à la manière de l’Armée des Douze Singes (je parle du film de 1995 de Terry Gilliam, je ne sais honnêtement pas du tout ce qu’il se passe dans la série). Ce qui rend les choses vraiment confuses (volontairement) est le fait qu’Isserley parle des êtres humains tels que vous et moi comme de « vodsels » et des étranges créatures extra-terrestres comme d’humains même s’ils ressemblent plus à des cerfs doués d’intelligence que des êtres humains.
Isserley chasse donc l’homme (ou le « vodsel ») avant de les ramener dans une sorte de boucherie où ils sont transformés en nourriture pour les autres extra-terrestres. Le roman offre deux inversions tout à fait révélatrices ce qui lui donne une ambiance de saturnale extra-terrestre assez jouissive. D’abord, le personnage féminin est transformé en prédateur sexuel tandis que les personnages masculins sont la proie. Le narrateur se focalise surtout sur le point de vue d’Isserley mais nous offre accès aux pensées des hommes qui montent dans sa voiture. Leurs illusions sur leur position et les jugements qu’ils se permettent de faire sur ce qu’ils pensent être une jeune femme sont drôles de façon très ironique pour le lecteur qui sait comment ils vont terminer. Si tous les personnages masculins ne sont pas sexistes, leurs monologues intérieurs vous rappelleront probablement des dîners de famille pendant lesquels vous étiez probablement en train de vous demander pourquoi vous ne pouviez pas monter dans une soucoupe volante direction Mars.
La seconde inversion a déjà été exposée : les êtres humains sont considérés comme des animaux nommés « vodsels » et les extra-terrestres sont montrés comme les seuls êtres humains. Ce jeune homme montrant ses muscles en pensant exciter Isserley lui montre donc uniquement qu’il fera un bon steak. Isserley ferait un bon vampire en un sens : les humains ne sont pas ses égaux, ils sont seulement des steaks hypothétiques. Le concept est étrange, certes, mais n’est pas tout à fait dérangeant jusqu’à ce qu’Amlis Vess apparaisse. Amlis Vess est le fils du boss. Il apparait d’abord comme un jeune homme gâté qui n’a aucune notion du monde. Cependant, il apporte une question essentielle au roman. En effet, Amlis est végétarien. Manger les vodsels ne l’intéresse pas du tout et il cherche même à les comprendre. Il est plutôt maladroit dans son combat contre l’industrie mais il pose la question essentielle : pourquoi ?
Pourquoi les extra-terrestres devraient se donner tout ce mal pour chasser de la viande (tellement chère que les classes inférieures ne peuvent pas en consommer) quand ils pourraient simplement consommer des légumes ? Isserley a dû sacrifier sa vie et subir de nombreuses opérations très douloureuses afin de ressembler à ses proies mais au final, à quoi rime cette chasse ?
Amlis est un personnage très intéressant aussi car il apporte un point de vue extra-terrestre sur le monde dans lequel nous vivons : il est fasciné par le ciel et la pluie est un miracle à ses yeux. Cette innocence n’est pas seulement attendrissante mais pousse le lecteur à réaliser qu’il était entouré de mystères. Isserley, quant à elle, vit dans ce monde depuis quatre ans et semble tout à fait désabusée. Ce qui est drôle également puisqu’elle n’y comprend en fait pas tout. Par exemple, elle est persuadée que les moutons sont plus intelligents que les vodsels. Isserley reste le personnage principal et beaucoup de romanciers modernes gagneraient à s’inspirer d’un personnage féminin aussi complet.
Il est tout de même nécessaire de préciser que ce roman est assez dur à lire. La prose est simple et malgré les nombreux mystères qui restent sans réponse, l’histoire est compréhensible (ce qui n’est pas vraiment le cas dans le film mais l’effet est probablement désiré vu que le spectateur est un simple vodsel incapable de comprendre la complexité des « véritables » humains). Il y a cependant des scènes qui sont choquantes : si vous êtes assez sensibles, je vous déconseillerai la lecture. On peut y lire par exemple une tentative de viol et la froideur avec laquelle les extra-terrestres transforment les vodsels en bêtes d’élevage intensif.
Donc si vous êtes prêts à remettre beaucoup de vos principes en question (notamment si vous n’êtes pas végétarien) je vous recommande chaudement la lecture d’Under The Skin. Rien ne vaut un roman qui vous fait douter de tout.
Canongate Books Ltd
304 pages
Anne-Victoire