Connaissez vous Une heure-lumière, cette excellente collection de novella créée par le Bélial’ en 2016 ? D’ailleurs, connaissez vous le Bélial ? Non, ce n’est pas un monstre (du moins pas dans ce contexte) mais une maison d’édition d’imaginaire, indépendante et riche de nombreux textes à découvrir.
Pour découvrir un peu plus son catalogue et ses belles collections, nous vous proposons une interview avec Erwann Perchoc, éditeur au Bélial’.
Pourriez-vous présenter le Bélial’ ?
Fondée en 1996 par Olivier Girard, le Bélial’ est une petite structure consacrée aux littératures de l’imaginaire. Nous publions une quinzaine de livres par an, romans comme recueils, ainsi que Bifrost, revue trimestrielle dédiée auxdites littératures de l’imaginaire au travers de nouvelles, critiques de livres et dossiers thématiques.
Quelle est la ligne éditoriale de votre maison ?
Si nous apprécions la fantasy, le fantastique, l’horreur et les littératures plus interstitielles (les transfictions, dirait Francis Berthelot), nous avons une préférence marquée pour la science-fiction. Cette SF va des Grands Anciens, comme Poul Anderson, Ursula K. Le Guin ou Jack Vance, à des auteurs contemporains, comme Greg Egan, Ken Liu ou Ada Palmer. Cela, sans oublier des écrivains ne rentrant pas les cases, comme Lucius Shepard, Thierry Di Rollo ou Thomas Day. Nous publions pour part des romans, pour part des recueils de nouvelles — à nos yeux, la nouvelle est la forme reine de la science-fiction — en faisant systématiquement le pari de l’exigence.
Au sein du Bélial’ se côtoient de nombreuses collections, chacune ayant un format et une thématique particulière. Pourquoi tous ces classements dans votre catalogue ?
Dans ses premières années, le Bélial’ avait plusieurs collections, qui ont ensuite disparu. Depuis quelques années, nous avons repris l’habitude d’en créer lorsque certains projets nous semble le nécessiter. Pour la mise en avant et le travail en librairie, une collection identifiable s’avère plutôt pratique.
Petit tour d’horizon. Avec son format plus grand qu’à l’accoutumée et ses couvertures à rabats, Kvasar correspond souvent aux intégrales ou aux rééditions prestige. Une Heure-Lumière, ce sont les romans courts, les novellas. Nous avons formalisé Quarante-Deux — la SF qui fait avancer la SF, pour ainsi dire — afin de mettre en avant le travail des deux personnes ayant apporté les projets : Ellen Herzfeld et Dominique Martel, connus sous le pseudonyme collectif de Quarante-Deux.
Dans une approche différente, Pulps — dirigée par Pierre-Paul Durastanti — propose essentiellement de la SF de l’Âge d’or (qui est de quatorze ans, selon le fameux adage) ou s’en inspirant ; le principal représentant de cette collection est la série « Capitaine Futur » d’Edmond Hamilton. Pour Parallaxe, collection dirigée par l’astrophysicien Roland Lehoucq, il s’agit de vulgarisation scientifique au prisme de la SF. Enfin, Wotan, qui ne compte pour l’instant qu’un seul titre (Gotland de Nicolas Fructus), est destinée à accueillir des projets (souvent graphiques) ne rentrant pas dans les cases habituelles.
La collection Une heure-lumière existe depuis janvier 2016. Quelle a été la genèse de cette collection ?
Une longue genèse, qui remonte à plus de vingt ans en arrière. Sous l’impulsion des Quarante-Deux, le Bélial’ avait publié deux novellas, L’Enfance attribuée de David Marusek — rééditée en août 2019 — et Danse Aérienne (reprise récemment au sein du recueil Danses Aériennes). Un peu plus tard, lors d’une conversation informelle, peut-être assez arrosée, entre Olivier Girard, Gilles Dumay et Serge Lehman, ce dernier a suggéré la création d’une collection spécialement dédiée au format novella. Lehman avait même une super idée de nom : Une Heure-Lumière.
Le projet a trotté dans nos têtes. Mais… il nous a fallu du temps pour lui donner vie, pas loin de quinze ans. Fin 2013, on a pris le projet à bras le corps ; au printemps 2014, nous avons commencé à contacter les auteurs ; nous avons envisagé le lancement de la collection en 2015 mais nous avons faire preuve de prudence et attendre quelques mois supplémentaires avant le véritable lancement, en janvier et février 2016.
Vous publiez autant des textes horrifique (Les meurtres de Molly Southbourne), fantastique old-school (La ballade de black Tom) ou encore de la pure science-fiction (Waldo, Cérès et Vesta…). Quels sont les critères de sélections des textes ?
Je ne qualifierais par La Ballade de Black Tom de fantastique old school mais plus d’hommage impertinent à Lovecraft. Quoi qu’il en soit, le principal critère de sélection est : est-ce que ce texte nous plait ? Est-ce qu’il nous a fait vibrer le temps de sa lecture ? Si oui, on se démène pour en acquérir les droits et le publier. Si c’est juste un « Ouais, c’est juste pas mal », on passe à autre chose.
Dans cette collection se côtoient des textes contemporains (Issa Elohim) comme des textes datant des années 40 (Waldo) ou des années 70 (Le Fini des mers). Comment dénichez-vous tous ces textes ?
C’est un travail collectif. Plusieurs novellas ont été publiées à l’initiative de leurs traducteurs (Sylvie Denis pour Un pont sur la brume, Pierre-Paul Durastanti pour une bonne partie des titres de la collection dont Waldo et Le Fini des mers, Laurent Queyssi pour 24 vues du Mont Fuji, par Hokusai, moi-même pour Cérès et Vesta ou Acadie). Plusieurs blogueurs, lisant l’anglais, nous signalent à l’occasion tel ou tel texte valant le coup d’œil, via leurs billets ou parfois directement. Nous sommes toujours à l’affût.
Pour l’instant seulement trois textes de la collection ne sont pas anglo-saxons, mais français. Souhaitez-vous développer cet aspect de la collection ?
Si possible, oui. Le premier titre de la collection est Dragon de Thomas Day : commencer par un texte d’un auteur francophone était à nos yeux un signal, manière de montrer que cette collection n’était pas réservée qu’aux auteurs anglo-saxons. Il en reste que nous avons relativement peu de soumissions de novellas par des auteurs francophones. Il est nécessaire aussi que ladite novella nous plaise : on ne va pas publier une novella francophone médiocre pour le seul prétexte de publier une novella francophone, ça ne rendrait service à personne.
Éditer un texte d’un auteur décédé, écrit des années auparavant, qui plus est d’un auteur étranger ne doit pas être un travail facile.
Travaillez-vous en lien avec des agents, avec des maisons d’édition à la ligne éditoriale proche de la vôtre, etc. ?
C’est un travail moins difficile que vous ne l’imaginez. Nous ne bossons pas avec les maisons d’édition anglaises ou américaines, mais directement avec les auteurs ou leurs agents. Si l’auteur est décédé, il faut travailler avec les ayant-droits (ce qui peut prendre du temps, comme dans le cas de Lucius Shepard). Négocier avec les agents peut parfois se révéler sportif, mais il est rare qu’une négociation n’aboutisse pas : c’est dans l’intérêt de l’auteur qu’un de ses textes paraisse en français. Alors agent comme éditeur font des concessions.
Pourquoi avoir choisi la forme de la novella, forme pour l’instant encore très peu publiée en France ?
La réponse est dans la question : parce qu’il s’agit d’un format peu publié en France, nous avons choisi celui de la novella. Ce format est bien installé dans le domaine anglo-saxon : tous les grands prix du genre (Hugo, Locus, Nebula) ont une catégorie novella, et il y a donc un immense vivier de textes de qualité. Si celui-ci existait déjà en français, nous n’aurions pas créé Une Heure-Lumière. Ce n’était pas exactement le cas au moment du lancement de UHL, et comme nous apprécions la forme courte…
La collection Une Heure-lumière se repère très facilement grâce à sa magnifique charte graphique. Elle est entièrement illustrée par Aurélien Police, pour un résultat tout en brume et en jet de couleur. Comment s’est faite cette collaboration ?
Cela faisait déjà quelques années que nous collaborions avec Aurélien Police, que ce soit pour des couvertures de Bifrost ou de livres. Nous étions satisfaits, et même plus, de son travail : Aurélien a toujours le talent pour trouver l’image qui fonctionne. Pour UHL, nous lui avons demandé des couvertures claires, pour trancher avec les images plus sombres que nous affectionnons, et qui se devaient d’être déclinables. Il nous a proposé le résultat que vous connaissez, qui identifie fortement la collection.
Pour chaque titre, nous communiquons à Aurélien le texte (ou, si nous n’avons pas la traduction, un brief), et il nous soumet rapidement une couverture sur laquelle nous n’avons généralement rien à redire, vu qu’elle convient à merveille.
Quel est l’avenir de cette collection ? Êtes-vous satisfait de son accueil au sein du lectorat français?
L’accueil réservé à Une Heure-Lumière nous a positivement ravis, tant au niveau des critiques, globalement unanimes, que des ventes. L’avenir consiste pour nous à tâcher de faire aussi bien pour la suite — et à ce titre, l’année 2020 devrait être chouette, avec entre autres Le Temps fut, une belle novella de Ian McDonald, la suite des Meurtres de Molly Southbourne de Tade Thompson, la retraduction de La Chose d’un autre monde de John W. Campbell, Jr.
Quels sont les publications de la rentrée pour Une heure-lumière ?
Il y en a quatre. La première est Acadie, d’un auteur britannique encore jamais publié en France : Dave Hutchinson. C’est un space opera dont le caractère roublard nous a beaucoup plu. Suit L’Enfance attribuée, réédition du texte de David Marusek évoqué plus haut : il s’agit d’une novella cyberpunk, pleine d’amour et de bugs. Puis : Abimagique, étrange récit fantastique, riche en moiteur et sensualité, par ce nouvelliste hors-pair qu’était Lucius Shepard. Après Les Attracteurs de Rose Street, c’est la deuxième novella de lui que nous publions et certainement pas la dernière.
Le quatrième UHL de la rentrée est particulier, car il s’agit du hors-série annuel. Le bon accueil réservé au premier hors-série l’année dernière nous a poussé à récidiver. Ce HS contient une brève introduction par Olivier Girard, le directeur de la collection, le catalogue de celle-ci, et (surtout) d’une novelette de Ian R. MacLeod, « Isabel des feuilles mortes », situé dans l’univers de Poumon vert (paru en 2017 en UHL). MacLeod est un styliste hors-pair, à l’imagination riche et puissante, et cette novelette en est la preuve.
Il n’est pas rare d’entendre parler, dans les différents médias, d’une crise de l’édition française. Elle serait d’autant plus forte dans les littératures dites « de niche ». Le Bélial’ est-il impacté par cette « crise » ? Que pensez-vous des difficultés de l’édition française contemporaine.
Tous les éditeurs sont touchés par cette crise de l’édition. Néanmoins, le fait d’être dans une littérature de niche, avec un public dit « captif » (on s’imagine déjà nos lecteurs enfermés dans des librairies… de leur plein gré), nous protège un minimum. Et la collection Une Heure-Lumière nous aide bien à garder la tête hors de l’eau.
Les difficultés de l’édition de manière générale sont probablement dues à la surproduction. Lorsqu’on annonce plusieurs centaines de nouveautés pour la rentrée littéraire, alors que seule une poignée d’entre eux sera mise en avant, il y a de quoi frémir.
Pour finir, un coup de projecteur sur un projet à venir ?
Question ardue ! Entre le prochain recueil de Ken Liu, Jardins de poussière, et le prochain titre de notre collection de vulgarisation scientifique Parallaxe, Station Metropolis direction Coruscant par Alain Musset, géographe fan de SF, il est difficile de choisir… mais notre enjeu des mois à venir se situe clairement du côté d’Ada Palmer.
Fin octobre, nous allons publier son premier roman, Trop semblable à l’éclair, volume introductif de sa tétralogie « Terra Ignota ». Ambitieux, érudit, malin, dense, ce roman vous propulse dans un XXVe siècle aussi étrange et étranger que pourrait l’être notre XXIe siècle à un gentilhomme du XVIIIe siècle. Un XXVe siècle radieux, influencé par la pensée des Lumières, où la société a radicalement changé de forme… mais comme on peut s’en douter, l’utopie est viciée. Trop semblable à l’éclair pose l’univers ; la suite, Sept Redditions, sortira en mars et apportera toutes les réponses que le lecteur se pose. À nos yeux, c’est un chef d’œuvre, un classique en devenir, qui fait le pari de l’intelligence et de l’exigence. Accrochez-vous !
Retrouvez Une Heure-Lumière sur Un dernier livre avant la fin du monde avec trois chroniques :
Un pont sur la brume; L’homme qui mit fin à l’histoire & Les meurtres de Molly Southborne.