Quelle étrange aventure que ce nouveau roman de Chris Adrian, jusque là connu simplement en France pour son recueil de nouvelles “Un Ange meilleur”.
Trois habitants de la ville, Henry, Molly et Will, se retrouvent un soir perdus dans Buena Vista Park, au coeur de San Francisco alors qu’ils rejoignent la même fête. Ils sont loin de s’imaginer que le parc est le lieu du désespoir de Titiana, du Songe d’une nuit d’été, femme d’Obéron endeuillée par la mort du fils de mortel qu’ils ont recueilli, et par le départ de son amant. La mélancolie de Titiana, privée de ces deux amours de sa vie, ne trouve pas de fin ; ses sujets, les fées et autres créatures étranges qui peuplent la colline, ne suffisent pas à la consoler. Elle partage pourtant avec les trois mortels qui traversent le parc ce soir-là un point commun : chacun d’entre eux doit composer avec une séparation marquante dans leur vie, rupture ou mort d’un proche. Henry, Molly et Will vont ainsi connaître une nuit onirique et étrange dans ce parc.
Il souffle une grande liberté dans ce récit, librement inspiré de la pièce de Shakespeare, même si la référence est plutôt impressionniste : des personnages, des situations, mais surtout une sensation générale d’étrangeté proche de celle que laisse l’oeuvre originelle. Pas besoin, donc, de connaître ses classiques pour se laisser aspirer dans l’univers du peuple magique qui vit dans Buena Vista Park.
Adrian, audacieux, parfois tête brûlée, entrelace les vies des trois mortels et de Titiana par le passé, mais aussi leurs pérégrinations dans le parc dans le présent. Le style est époustouflant de simplicité au regard de la richesse du ressenti. Après un début un peu déconcertant, on est délicieusement emportés par le récit, sans cesse rattrapés par le magique dans le réel, et par le réel dans le magique. Ces décalages instaurent même un comique de situation savamment distillé qui font l’effet du second degré qu’on peut avoir pour ses propres rêves. On se délecte par exemple des impressions de Molly, qui, se rendant compte de l’absolue folie de ce qui est en train de lui arriver au milieu de ces créatures féériques, commente ironiquement son état de malade psychiatrique en devenir, comme si Alice avait eu un compte twitter pour s’étonner de son périple au Pays des Merveilles.
Les passages sur la maladie du fils adoptif d’Obéron et de Titiana sont quant à eux d’un réalisme foudroyant. Chris Adrian est pédiatre oncologue de métier, et l’angoisse de la maladie de l’enfant est présent dans tout ce qu’il écrit, avec une vraie clairvoyance de professionnel. Il livre encore ici, après ” The Children’s hospital” encore inédit en France mais acclamé aux Etats-Unis, un récit d’une réalité poignante sur la maladie du petit de Titiana et d’Obéron, sans doutes les passages les plus beaux du livre. Les éclats de magie n’interviennent que pour apporter encore plus d’amour dans des scènes déjà très marquantes.
Car c’est cela que fait Adrian : en utilisant le merveilleux d’un songe d’une nuit d’été, il fait sauter assez de barrières pour parler d’amour plus grand, plus intense, pour jouer plus facilement avec nos angoisses existentielles. Il semble tenter, en somme, de nous livrer la part de magie de nos contes d’enfant, pour guider nos questionnements les plus fondamentaux. Certes, en version adulte très contemporaine, cela ressemble à l’extra-lucidité folklorique d’un trip sous acide, mais qui irait vraiment dire que c’est un problème ?
Une nuit d’été, de Chris Adrian
Traduit de l’anglais ( américain ) par Nathalie Bru
Aux Editions Albin Michel