Récemment nous faisions la découverte d’un nouveau visage d’Ursula K Le Guin avec le fabuleux recueil “Unlocking the air” ( ActuSF, 2022) et alors que “La main gauche de la nuit” et “Les dépossédés” ressortent chez Albin Michel en éditions limitées, et que “l’intégrale Orsinia” vient de paraître chez Mnémos, voici qu’un second recueil de nouvelles paraît cette année chez les éditions du Bélial. Une actualité chargée, ne cessant de montrer une richesse littéraire et d’univers chez une autrice qui n’en finit plus de nous surprendre tant par sa versatilité que par son imagination généreuse et débordante.
« Les quatre vents du désir » fut publié chez Harper & Row sous le titre «The Compass Rose » en 1982 et connu une première édition française en 1988 chez Pocket. La présente version, publiée par Le Bélial`, présente une harmonisation des traductions, ainsi qu’une préface de David Meulemans (auteur et éditeur des Forges de Vulcain), une longue interview de l’autrice par Hélène Escudié en 2002, d’une bibliographie par Alain Sprauel, ainsi que d’illustrations de couverture et d’intérieur par Aurélien Police. Un travail d’édition méticuleux et soigné, que nous avions déjà pu apprécier avec son précédent recueil paru chez le même éditeur, à savoir « Aux douze vents du monde » en 2018, également dans la prestigieuse collection Kvasar.
Il faut saluer, au passage, ce travail conséquent et passionnant qu’entreprennent les éditeurs, majoritairement indépendants, pour remettre en avant l’autrice et montrer, si besoin en était encore, le génie littéraire d’Ursula K Le Guin.
« Les quatre vents du désir » est une sélection de nouvelles, vingt exactement, datant des années soixante-dix. Divisé en six parties, Nadir, Nord, Est, Zénith, Ouest, Sud, regroupant ainsi les nouvelles par thématique, ambiance, ou sujet, et déroulant au gré de notre lecture un passionnant voyage, ponctué par quelques pépites comme seule sait faire Ursula K Le Guin.
Ainsi, nous plongeons dans l’univers de la « Thérolinguistique » ( l’étude du langage des animaux), fourmi, manchot, phoque, dauphin, et par extension nous questionnant sur les possibilités du langage végétal, et ce qu’est finalement Le Langage, pour finir par une exploration passionnante, par une équipe de femmes du Pôle Sud, au début du vingtième siècle.
Entre ces deux, vous trouverez du récit proche d’un univers orwellien et dickien, avec “La nouvelle Atlantide”, “Le Test” ou encore “Labyrinthes”, abordant ainsi des thématiques sur le contrôle et l’emprise. Des nouvelles plus classiques dans la forme et proches des ambiances habituelles de l’autrice avec “L’âne blanc” ou encore la très touchante nouvelle “La harpe de Gwilan”. Mais nous explorons ici aussi d’autres univers qu’Ursula K Le Guin, tout comme avec Unlocking the Air, ne nous avait pas ou peu habitué, qu’il s’agisse d’un récit d’exploration polaire avec “Sur”, de l’absurde quasi burlesque avec l’excellent “Intraphone”, des expérimentations de points de vu ou de ton avec “Le récit de sa femme”, “Malheur county” et “L’eau est vaste”. Sans toute les énumérées, vous comprenez que vous êtes gâtés à la lecture de ce recueil. Et au milieu de tout ça, il y a LA nouvelle, celle qui vaut l’achat de ce recueil à elle seule, l’incroyable récit anthropo-linguistique « Les Sentiers du désir » qui est une merveille d’une sensibilité et d’une justesse comme trop rarement nous pouvons lire dans ce format-là, un chef d’oeuvre absolu du genre.
Il y a une thématique commune qui se dégage au travers de ce nouveau recueil, une forme de déterminisme social ou contextuel dans le sens philosophique du terme. Mais nous pouvons aussi découvrir ce même déterminisme dans son écriture, car ici, tout semble se répondre, se faire écho et ainsi au fur et à mesure des points cardinaux, nous voyons une autrice prenant conscience de ses propos et enjeux, qui par le biais de ses explorations thématiques et narratives, construit un univers dense et cohérent questionnant sans cesse notre réalité, nos enjeux de société et notre vision d’un avenir commun. Il est d’ailleurs, intéressant de mettre en perspective la première et la dernière nouvelle, à savoir « L’auteur des graines d’acacia » et « Sur », partant d’une forme narrative plutôt décousu et volontairement froide, clinique, par le truchement de rapports, qui s’oppose à une forme de récit plein de vie et d’empathie avec cette exploration polaire dans un final que n’aurait pas boudé un Melville ou encore un Conrad.
Un autre point, évoqué plus haut, est la versatilité sur le fond et la forme de l’autrice. Dans « Les quatre vents du désirs, il n’y a pas deux histoires qui se ressemblent, elles portent toutes en leur corps textuel et narratif une singularité en guise de signature. Et quand bien même la forme peut paraître classique le point de vue devient étonnant dans « Le récit de sa femme », voir troublant dans la très ambiguë « L’eau est vaste » qui nous laisse finalement avec plus de questions qu’elle n’en soulève.
Il y a tellement à dire sur ce recueil, nous retrouvons bien entendu, les variations habituelles, notamment la thématique du voyage et la transformation que ce dernier apporte au lecteur par le truchement du protagoniste. Avec une nuance ici, comme le souligne dans son excellente préface, un David Meulemans plus passionné que jamais. Ici vous avez la possibilité de voyager selon votre parcours de lecteur et, in extenso, selon vos envies: « Le titre même de The Compass Rose, que l’on pourrait traduire par la « rose des vents » est un parfait résumé de ce volume : ces textes ne sont pas la carte d’une œuvre, mais la boussole, qui permet de choisir une direction sans se priver de la beauté du voyage. »
Ce recueil, soigné et dense, est d’une richesse incroyable, se terminant avec un long entretien par Hélène Escudié, qui après une courte biographie d’Ursula Le Guin, nous montre une autrice consciente de son époque, sensible, complexe, et pertinente dans ses propos, ainsi qu’une vaste cartographie psychique de son œuvre, donnant ainsi à relire ses textes avec un tout nouveau regard. C’est autant touchant que passionnant à lire et donne énormément de sens à ce qu’a pu écrire l’autrice toute sa vie durant.
Le bélial` frappe juste et fort en rééditant « les quatre vents du désir ». Nous donnant à découvrir des univers encore inattendus venant d’Ursula K Le Guin, mais aussi des thématiques chères à l’autrice, comme le voyage, la linguistique, l’anthropologie, le féminisme et les enjeux de la société dans ces dérives les plus dangereuses. C’est foisonnant, passionnant et enivrant. Décidément, 2022 est l’année Le Guin, vivement les prochaines publications ! D’ici là, faites-vous plaisir, respectez-vous et lisez Ursula K Le Guin.
Editions Le Bélial’,
448 pages,
Préface : David MEULEMANS
Entretien : Hélène ESCUDIÉ
Couverture & illustrations : Aurélien POLICE
Bibliographie : Alain SPRAUEL
Trad. Martine LAROCHE, Françoise LEVIE-HOWE,
Jean-Pierre PUGI, Philippe ROUILLE, France-Marie WATKINS