<Yo no soy marinero, soy capitan!
<Rogério de Campos, ancien jésuite portugais devenu, pour d’obscures raisons, maître d’équipage sur le Rey de Reyes, bateau battant pavillon espagnol, est en bien mauvaise posture. Suite à l’abordage de son navire par le Neptune, trois-mâts commandé par le flibustier Laurens de Graaf, affectueusement surnommé Lorencillo, il doit choisir entre l’enrôlement ou la mort. La décision est rapide. Emporté par sa passion soudaine pour une sublime esclave africaine, notre mystérieux jésuite, qui semble avoir des choses à cacher, embarquera donc aux côtés des pirates pour ce qui pourrait bien être leurs derniers instants.
Nous somme en 1685 et la grande période de la flibuste s’achève. Louis XIV semble avoir fait la paix avec l’Espagne et veut retirer aux pirates leurs lettres de marque. Mais les Frères de la Côte ne comptent pas disparaître aussi facilement, et c’est sur l’île de la Tortue, repaire de toute la flibuste des Caraïbes, que va se préparer le baroud d’honneur des saigneurs de la mer.
Alors que la politique, loin d’ici sur le vieux continent, veut se débarrasser d’eux, ils continuent, coûte que coûte, à mener l’assaut. Car la flibuste ne connaît aucun maître. « Tout ce que nous voulons, c’est de l’argent, et nous faisons fi de toutes règles. Nous nous emparons de tout et nous vendons de tout, y compris des hommes. Nous sommes le futur, et personne ne nous arrêtera. »
D’abord profondément choqué par les mœurs de ses nouveaux compagnons, Rogério de Campos fera siennes les règles des Frères de la Côte et deviendra, au combat, aussi féroce qu’eux. Mais son passé de jésuite et la fin de la flibuste qui semble inévitable ne cessent de le questionner sur cette violence gratuite, cette anarchie, cette outrancière liberté que s’octroient les pirates. Bêtes brutales, ultime phase de l’évolution humaine dans son égoïsme et sa sauvagerie? Détenteurs d’un idéal libertaire? Le pirate est plus complexe qu’il n’y paraît. Mais une chose est sûre, le déloger des Caraïbes ne sera pas aisé, car nos flibustiers sont avant tout des aventuriers qui pillent et massacrent (de préférence des galions espagnols) dans l’attente de claquer leur butin dans les tavernes et bordels de Tortuga, Curaçao ou d’Hispaniola. Et s’ils devaient disparaître, que ce soit le sabre au clair sur un coup d’éclat au moins aussi fou, sanglant et rentable que la prise de Veracruz.
Le pied marin et des tripes bien accrochées sont conseillés avant d’aborder Tortuga. Mais une fois à bord, hors de question de sauter! De l’abordage à la beuverie, entre deux déferlantes, nous entrons ici dans l’intimité des plus grands flibustiers que la mer ait porté: De Graaf, De Grammont, L’Olonnais, Andrieszoon… et leurs équipages, tous plus sanguinaires et sans pitié les uns que les autres. Valerio Evangelisti mêle avec brio personnages fictifs et historiques et trace une fresque magistrale de ces années envoûtantes et terrifiantes qui peuplent notre imaginaire. Accoudé au bastingage, on ne cesse de guetter la voile au loin qui annoncera un massacre, la forme encore floue d’une de ces îles paradisiaques où se réunit la flibuste avant de partir, pour une gloire éphémère, à la conquête une place imprenable. Pas de répit, pas de repos, le pirate vit vite et meurt jeune, ou n’est pas.
Un roman passionnant en diable, qui prend au corps et qu’on ne lâcherait pour rien au monde. L’auteur du cycle « Nicolas Eymerich » sait décidément clouer ses lecteurs à ses livres!
Rivages
398 pages
Marcelline