La Sinistra, c’est cette rivière qui coule plus ou moins, selon les saisons, dans les Carpates hongroises, proches des frontières roumaines et ukrainiennes. Un homme y arrive un jour, à la recherche de son fils adoptif qui y a été déporté après s’être mis dans des soucis, notamment en fréquentant une femme quelque peu folle, selon les autorités. Sous le contrôle du colonel Borcan, puis de la dure Coca Mavrodin, notre homme, rebaptisé Andreï Bodor, va successivement occuper les postes de dispatcheur des fruits, cantonnier, veilleur des morts… Dans cette zone abandonnée où chacun oublie son passé et son futur, sans pour autant se raccrocher au temps présent, les oiseaux sont de mauvais augure et amènent les maladies, et la seule chance de salut, en dehors de la disparition militaire plus ou moins programmé est d’embarquer dans le camion de Mustapfa Mukkerman, entre les carcasses gelées, seul véhicule autorisé allant de la vallée de la Sinistra jusqu’aux Balkans, jusqu’au soleil et une hypothétique liberté. Mais personne ne semble en vouloir.
Entre roman et recueils de nouvelles, La vallée de la Sinistra est un bien étrange objet. Les différents chapitres qui composent la vie présentée d’Andreï sont complètement décousues, comme l’est la vie dans cette bien étrange vallée. On s’excuse d’y perdre une oreille, les parapluies se transforment en chauve-souris, les femmes sont prêtées et les petites filles ont les yeux qui brillent la nuit. Absurde, loufoque et dramatique en même temps, ainsi se lit ce texte, comme seuls semblent savoir le faire les écrivains d’Europe de l’Est. Sans ordre chronologique clair, on passe des souvenirs de l’arrivée d’Andreï à son retour dans la vallée des années plus tard, de sa rencontre avec sa maîtresse à son expulsion définitive de la vallée. Venu à la recherche de son fils adoptif Béla Bundasian, Andreï semble se laisser porter par le hors-temps dont est enveloppé la ville et les forêts alentours. Les convois militaires se succèdent et se ressemblent, et les habitants attendent de mourir ou de partir, sans vraiment être emballés ou terrifiés par l’un ou l’autre. Les dictatures sont immuables et indifférentiables, on nous dira bien pour qui nous sommes le moment venu.
Un texte court et perturbant sur l’absurdité des dictatures dans des paysages envoûtants avec des personnages aliénants. Accrocheur et dérangeant!
Cambourakis
238 pages
Marcelline