En 2011 sortait Voyage en Satanie, premier tome d’un diptyque mené par le trio Kerascoët aux dessins et Vehlmann au scénario (auteurs du généralissime Jolies Ténèbres). Le second tome n’a jamais été finalisé suite à quelques aléas malheureux, mais une nouvelle édition vient de voir le jour en un One-Shot totalement repensé et ré-écrit pour une plongée encore plus perçante dans les sous-sol de la Terre et du coeur humain.
Publiée dans la collection Métamorphose, Satanie est habillée d’une couverture à la fois délicate et organique, sauvage et poétique; les planches sont sur un fond noir profond oppressant, tranchant avec la palette vive et acide des Kerascoët: tout les éléments sont réunis pour faire de cette bande-dessinée un petit joyaux à lire et à posséder.
Préparez vos tenues de spéléologie, retenez votre souffle, ne cédez pas à la panique ni à la claustrophobie et plongez dans les entrailles de cette planète que l’on pense dominer, venez visiter Satanie.
Charlie, de son véritable prénom Charlotte, jeune fille rousse au caractère d’acier se lance à la recherche de son frère ainé Constantin, disparu il y a quelques mois de cela suite à une expédition d’un genre tout à fait particulier. Jeune scientifique et un peu rêveur, il est en effet parti bille en tête afin d’appuyer sa théorie quelque peut controversée de l’existence des Enfers et de leurs habitants. Bien décidé à démontrer que le peuple qui y vit n’a de satanique que le nom, il est de surcroit convaincu que cette espèce suit la logique de l’évolution selon Darwin et absolument pas la théorie religieuse d’un purgatoire mal peuplé.
Sa soeur cadette, suivie d’un groupe éclectique composé d’un éditeur un peu perché et de son neveu épris de la belle rousse, d’un garagiste croyant et enfin d’un comptable et d’un abbé ronchons, ne va reculer devant rien pour mener à bien cette mission sauvetage, quitte à aller au delà de sacrifices qui remettront sa vie et celles de ses compagnons en question, ainsi que sa condition d’humaine propre.
En compagnie de cette joyeuse équipe, nous nous enfonçons peu à peu au plus profond de la terre, arpentant des boyaux de roche tortueux et les caves naturelles phosphorescente, guidés par les feux-follets et l’espoir de retrouver Constantin et la lumière du jour, découvrant un univers décadent et dangereux à la beauté à couper le souffle.
Les protagonistes rencontreront des colons des cavernes, qui ayant fuit la société moderne ont préféré vivre en autarcie et fonder leur propre ville-calcaire aux allures de cité antique. Puis leurs pas vont les mener face aux sataniens… Clans hurlants sans ordre hiérarchiques, semblant à la fois inoffensifs et repoussants, ils vivent au jour le jour sans règles de vie puisqu’en Satanie, les lois physique et le cycle régulier du temps n’hésitent pas.
Entre civilisation moderne et ancestrales, le choc est d’autant plus violent qu’il se passe dans un monde inversé, un paysage où rien n’est connu et rassurant. Où les heures passent et où l’on assiste à ce qui ressemble au bouillon de culture préhistorique qui a amené la vie telle que nous la connaissons.
Plus on s’approche du noyau terrestre et plus les personnalités de chacun sortent de leurs coquilles pour exploser dans l’univers étouffant de ce monde sans lumière; la folie ronge les esprits, la cupidité et les instincts primitifs resurgissent, les personnages vomissent leurs vices. Charlie va être hantée par des hallucinations, voyant sa mère surgir derrière l’angle d’un stalagmite, la sermonnant et lui faisant porter tous les maux de leur malheur commun, le comptable bigot va commencer à avoir des pulsions meurtrières et l’abbé va se prendre pour un missionnaire venu porter le flambeau de la civilisation aux sataniens. Les cadavres sortent des placards, les non-dits explosent dans cet espace si confiné où les repères habituels n’hésitent plus.
Face aux sois-disant démons peuplant le fin fond du ventre de notre planète, ce sont les Hommes qui vont s’avérer plus bestiales et cruels les uns envers les autres.
Les Kerascoët et Vehlmann créent un album autour de la survie avec cette sensualité toute macabre et cette poésie folle et délicate qui leur est propre. Les entrailles de la Terre sont dépeintes de manière littérale. Viscérale et palpitante, le dessous de la croûte terrestre est un équilibre naturel en mouvance perpétuel, où aucune heure ne ressemble à la précédente et où la projection et la stabilité sont impossible car aucun repaire n’est durable. Les couleurs vivent et sanguinolentes se complètent de teintes acides et presque chimiques, apportant à Satanie un caractère entre le trip sous LSD et l’épopée à la Jules Verne.
Dans un univers haut en couleurs et plein de contrastes, Charlie va poursuivre sa quête coute que coute, renouant avec les liens ancestraux de l’ADN le plus ancien, se familiarisant avec les sataniens et leurs moeurs tribales et découvrant même un sentiment d’attachement envers ces êtres à la fois terrifiant et hypnotisants. A la fois si éloignés et si proches d’elle.
Kerascoët et Vehlmann signent une nouvelle fois de leur patte si particulière une bande-dessinée en dehors de toute frontière avec ce voyage au centre de la Terre d’un genre nouveaux. N’empruntant à aucun moment les sentiers battus, ils nous prouvent une nouvelle fois avec Satanie que toutes les histoires n’ont pas encore été racontées.
Editions Soleil
Collection Métamorphose
126 pages
Caroline