Sur l’île lointaine de Koukdjuak, près du pôle, survit Nikko. Née lors d’une de ces longues nuits polaires qui durent des jours, en même temps que trop d’autres bébés, elle est la seule à avoir survécu. Car comme dans beaucoup d’autres endroits isolés, à peine connus et vite oubliés, les gens du continent, les hommes blonds dans leurs costumes de plastique, sont venus et ont ouvert une déchetterie. Usine de retraitement des déchets. Radioactifs. Toxiques. Et le jour du Grand Malheur, tous sont partis. Sauf les habitants, les locaux, les autochtones, qui se sont réfugiés dans le silence et l’alcool de renne. Et les enfants sont morts. Sauf Nikko, qui s’accroche, qui vérifie et encourage ses organes chaque jour, bien décidée à grandir, à rencontrer un prince charmant blond qui l’emmènera loin d’ici, sur le continent, là où elle n’aura plus à subir le regard transparent, inquiet et compatissant de ceux qui l’entourent, coupable d’être malade et pourtant vivante.
Entre un père violent, une mère passive et une soeur indifférente, Nikko va user de la Nodamycine qui l’empoisonne comme d’un pouvoir magique, et en faire sa force pour exister.
Mais ce n’est pas seulement la maladie que Nikko doit combattre. Une chape de plomb s’est abattue sur le village depuis le Grand Malheur, et si tout le monde sait, personne ne parle, on veut juste oublier et continuer à vivoter. Pourtant le continent commence à se souvenir de Koukdjuak. Cela commence par l’arrivée de Paul C., qui pose beaucoup de questions à tout le monde sur le Grand Malheur. Restant dans son ombre, invisible grâce à sa magie, Nikko va entendre les témoignages (ou leur absence) de ses voisins sur les événements, et assister à leur indifférence devant les possibilités de poursuites judiciaires. Car on ne fait pas de procès à l’Histoire, même si elle doit recommencer. Car un jour les hommes blond dans leurs costumes de plastique reviennent. Pendant ce temps, Nikko grandit, et loin de se laisser hypnotiser comme tous ces continentaux par le blanc, le silence et l’immense, elle va continuer à tout mettre en œuvre pour fuir le plus loin possible.
On ne peut pas reprocher grand chose à Véronique Ovaldé.
• Manier les mots: check. « Le Pollué est devenu si petit, si minuscule et maigre que nous l’avons perdu. Il y avait dans nos neiges un si vaste mystère qu’il y a sauté les pieds joints et liés, il s’y est enfoncé, a creusé son terrier, son puits de verticalité poudreuse, il a rejoint le calme des profondeurs et il a disparu et ce fut tout à fait, tout à fait définitif. »
• Poser un fond intelligent: check. Pollution, oubli, violence, vengeance, quête, enquête, désir, fuite… Ovaldé a toujours un propos, que ce soit dans une dimension politique (on retrouve la question écologique qu’elle avait déjà évoqué dans Et mon cœur transparent) ou dans l’ancrage social de ses histoires. Rien n’est tendre, et on se heurte à la violence et à la rugosité des habitants de Koukdjuak, induites par leur isolement, leur abandon.
• Créer un univers: check. Froid, violent, désespérément vide et pourtant si attirant dans son infinité, le tout et le rien qui se développent dans ces espaces improbablement immenses rendent fous ceux qui n’y sont pas nés. C’est au milieu des lacs gelés, des routes de glaces et des fjords que nous trimballe Nikko, entre deux bouteilles d’alcool de renne, à -30°C.
Non, définitivement, on ne peut rien reprocher à Véronique Ovaldé.
157 pages
J’ai Lu
Marcelline