Génie du strip, Tom Gauld propose avec Vers la ville un format long, une narration étendue qui ne repose pas sur le seul ressort comique du cartoon. On retrouve le trait minimaliste et pourtant si expressif, le travail de hachure rappelant l’un de ses maîtres, Edward Gorey et surtout le nonsense charmant et moderne de Gauld.
« Une nouvelle vie s’offre à vous. Installez-vous en ville ! »
Ni une, ni deux, au beau milieu de la nuit, les deux protagonistes, qui vivent au milieu de nulle part, partent sac à dos et brouette battants. Sans connaître le chemin – il y a forcément une ville à chaque bout d’une route -, ils entament un voyage à l’arrivée incertaine. Un long périple dont ils ne connaissent pas la durée, un lent périple que la brouette entrave. Mais pourtant, on sourit à chaque page. Quand il pleut à verse, quand l’un pense à la ville et l’autre aux saucisses grillées, quand l’un oublie la brouette, bref à chaque moment partagé par les deux amis. Entre attrait de l’inconnu et appréhension viscérale – ce « crac » nocturne est-il une biche ou un monstre sanguinaire -, ils avancent pourtant. Un huit-clos en plein air, pas si facile.
Usant du noir et blanc comme d’un espace coloré, Tom Gauld réussit la prouesse – une fois encore – de dire tant en si peu de mots. S’il dessine parfois les pensées des deux marcheurs, on visualise pourtant tout aussi bien celles qui restent mystérieuses. Il fait partie des auteurs qui créent un univers si riche qu’il devient une entité propre. S’il ne se passe pourtant rien d’extraordinaire durant ce voyage, il est malgré tout riche en émotions et en leçons. Carré noir ou carré jaune, Gauld propose une fin Malevitchienne qui interroge sur l’importance du chemin parcouru, et non sur le but lui-même.
Éditions 2024,
traduction de Bülb comix,
60 pages,
Aurore.