Un dernier livre avant la fin du monde WebZine Littéraire
Comme l’indique le sous-titre, Vers les terres vagues de Virginie Gautier est une « approche de la Zone à défendre ». Cette zone dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes, où depuis 2014 jusqu’à l’abandon du projet d’aéroport en 2018, des gens continuent à bâtir un autre rapport à la terre. Cette approche aussi sensible que réfléchie incite à repenser notre lien au vivant et au commun. Virginie Gautier ne restitue pas une simple analyse du mouvement de lutte contre un projet écocide. L’autrice propose un regard sensible sur cette zone, cet ancien marais que l’Homme n’a cessé de transformer en se l’accaparant. Vers les terres vagues offre un point de vue pacifié, hors des postures querelleuses et réactionnaires venant principalement des débats politico-médiatiques. C’est une vision au plus proche du concret de cette zone, ce que représentent véritablement ces terres vagues dans notre présent et notre avenir à toustes.
Mais Vers les terres vagues est aussi un livre qui raconte une marche, celle que fit Virginie Gautier pour arriver sur la ZAD. C’est l’histoire d’un corps qui marche à travers les paysages entre bord de mer et campagnes, en passant parfois par des villes plus ou moins grandes. Virginie Gautier raconte ce que la marche à travers le paysage produit sur le corps, ce qui incite à modifier son allure, la peur des chiens aux abords des fermes ou l’apaisement adossé à un arbre. Dans une écriture sensible, la narratrice nous raconte ce que l’acte de marcher propose comme alternative dans la vie d’un corps humain et d’un être habitant le monde. Au-delà d’une simple retranscription de son expérience, Virginie Gautier nous invite à ressentir l’effet de la marche, le fait d’abandonner les moyens habituels de locomotion véhiculée d’un territoire à un autre, reprendre contact avec la terre.
Ce livre arrive après une crise majeure que fut la pandémie. Il nous invite à perpétuer l’amorce des réflexions faites sur cette vie parfois si absurde qui nous fait abandonner l’idée du commun et du rapport au monde. La lutte de Notre-Dame-des-Landes n’est pas prête de s’éteindre. Nous avons besoin de repenser, déconstruire notre rapport à la terre. Virginie Gautier décrit dans Vers les terres vagues la nature avec précision, en prenant plaisir à nommer les plantes ou les animaux croisés lors de sa marche. Cette attention au territoire, il nous faut la retrouver, y retourner pour comprendre l’enjeu crucial que cela constitue. À l’heure où les rapports du GIEC se font de plus en plus menaçants, voire irrémédiables, cette approche de la zone à défendre se lit comme autre chose qu’un manifeste.
Parce qu’il n’y a pas d’incitation chez Virginie Gautier, son regard sensible sur la nature ne fait que basculer nos points de vue, que l’on est une vie urbaine ou rurale. La lecture de Vers les terres vagues n’est qu’un constat sensible et touchant qui replace l’évidence à sa place. Ce texte n’est pas un manifeste, car il est écrit avec l’apport d’un imaginaire poétique et intellectuel produisant du sens, un sens que chaque lecteurice repensera à l’aune de sa propre vie. Virginie Gautier redonne ce sens, par ce qu’elle écrit sans établir un discours culpabilisant sur nos responsabilités. Alors que nombre de politicien-ne.s sont plus promptes à désigner des coupables et à se dédouaner, Vers les terres vagues propose de rétablir en nous l’idée du commun et du rapport à la nature.
128p
Adrien
