Weronika Gogola a grandi dans le paisible village d’Olszyny, entourée de ses parents et de ses oncles et tantes. Sans oublier le voisinage qui fait tout autant partie de sa famille à ses yeux, et dont elle parle avec la même émotion sincère. Elle replonge dans cette enfance en évoquant ses souvenirs par petits bouts, où une idée en entraine une autre tout naturellement, et où les visages des défunt·es sont ravivés par la puissance de sa mémoire.
En douze temps, douze heures et douze chapitres, elle rassemble les trésors qui ponctuaient son quotidien de petite fille et de préadolescente avec beaucoup de douceur, parvenant à parfaitement retranscrire les réflexions à la fois candides et marquées d’une grande gravité qui éclosent dans le cœur des enfants.
” Se pourrait-il qu’un incubateur nous manque ? Ou un utérus ? Ne serait-ce pas mieux qu’on soit tous seulement nés et morts de suite ? Sans rien entre les deux ? Ne serait-ce pas mieux qu’on ne soit pas obligé de se souvenir ? Ni de tout changer dans nos têtes ? Car parfois, lorsqu’on se remémore quelque chose, on aimerait que le souvenir soit beau. Mais ce souvenir-ci est moche. À quoi bon une telle mémoire ? Tout cela est inutile. “
” Car parfois, quand une chose adhère à l’homme, elle devient très précieuse. Comme si elle retenait en elle quelque chose de lui. C’était le cas de la Tico, du peigne orange et du sol grinçant de la chambre de tata. Il y avait un peu de tata dans toutes ces choses, c’est pour cela que nous les aimions tous. “
Les jeux puérils côtoient les drames et au travers de cette autobiographie vibrante, où l’autrice dessine la beauté brute de cette vie passée, de cet autrefois qui résonne encore si fort en elle. Les habitudes étranges de ses proches et les rituels avec sa sœur et ses camarades, les amoureux imaginaires et les chèvres amicales, tous ces fragments se répondent les uns aux autres avec cohérence. Par petits bouts est une succession de détails et de moments précieux où joie et tristesse se confondent parfois, rythmés par les bruits enveloppants de la campagne polonaise et par l’abri d’un foyer toujours chaleureux malgré les épreuves. Des éléments récurrents imposent peu à peu leur propre musicalité, annonciateur d’une fatalité immuable qui finira par clôturer le récit au douzième coup de l’horloge du temps.
Dans ce texte doux-amer porté par une honnêteté touchante, Weronika Gogola ne se contente pas de replonger dans sa mémoire, mais évoque également les bribes d’une époque révolue aussi bien personnelle que commune : en parallèle de sa propre histoire, on peut deviner celle de ce coin des Carpates pendant les années 90.
D’une plume marquée par une simplicité diablement efficace et par un humour pince-sans-rire d’une candeur empreinte de gravité, elle livre un récit émouvant sur le deuil et sur l’amour, sur la fin de l’enfance et la précieuse richesse des souvenirs.
” Cela m’a beaucoup étonnée. Jusque-là, je n’avais aucune idée de l’existence des méninges qui enveloppaient mon cerveau. Je me suis résolu à les visualiser comme des pneus et je me demandais comment elles auraient pu rentrer là-dedans. […] Ce fut la première fois que je me suis sentie seule. Où j’ai compris qu’il y avait des moments où ni Maman ni Papa ne pouvaient être là. Ou l’homme est seul. Avec ses pneus. “
Tropismes éditions
Traduit du polonais par Monika Grimaldi
172 pages
Caroline