Tout le monde connait la jolie histoire de Pinocchio, la marionnette rêvant de devenir un gentil petit garçon. Les nombreuses adaptations du roman de Carlo Collodi en ont fait un conte incontournable à travers le monde.
Mais voilà que Winshluss s’en empare sans vergogne pour la réécrire à sa sauce. Et ça fait mal.
Niveau design, ce livre est un très bel objet, avec une couverture attractive, et une mise en couleur de Cizo qui colle parfaitement au trait de l’auteur. Certaines planches sont des illustrations à part entière, et se rapportent aux affiches de films vintages, avec une typographie réalisée à la main et sur lesquelles l’on peut passer plusieurs minutes à contempler le moindre détail. Plusieurs techniques artistiques sont utilisées en fonction des personnages; si la majorité des illustrations sont à l’encre et à l’aquarelle, d’autres ressortent du fil de la narration grâce à des techniques différentes; crayon de papier, de couleurs, trames, peintures… Le dessin est talentueux, et le graphisme global impose une lourde atmosphère, accentuée par le fait que l’histoire est quasiment muette. Contre toute attente, c’est cette absence de dialogue qui rend justement la lecture d’autant plus forte, et qui apporte encore plus de richesse et de personnalité à un ouvrage déjà hors norme.
Ici, pas d’énième version édulcorée et mignonne, mais une critique de la société contemporaine, dérangeante et malsaine, à l’humour noir si cher à Winshluss. Cet album offre plusieurs trames de lecture, car l’on suit les aventures de chaque personnage de façon assez dissociée, ce qui crée une suite d’histoires courtes plus qu’une seule et unique bd. De plus, l’auteur ne se contente pas de seulement transformer l’histoire de Pinocchio en une sombre parodie, mais recrée entièrement l’univers et apporte une réelle profondeur aux différents personnages grâce à des tempéraments malmenés et une patte graphique reconnaissable entre toutes. Défigurés, dérangeants, absurdes, une sacrée galerie de protagonistes défile, marquant le lecteur en lui mettant sous les yeux toute la saleté et les vices de l’humanité. Caricatures grotesques des personnages d’origine, Geppeto devient un inventeur loser et Pinocchio un robot de fer, dont le fameux nez peut faire office, selon les occasions, de canon de guerre mais aussi de sex-toys. L’incarnation de la conscience, le sage et savant criquet, prend la forme de Jiminy le cafard, écrivain en manque d’inspiration, débauché et surtout squatteur de la caboche métallique de la marionnette. On y croise aussi les sept nains, sous les traits de pervers obscènes, un mystérieux flic en pleine déprime et porté sur la boisson, et une foule d’autres individus tous plus glauques les uns que les autres.
Mais ce qui surprend le plus, c’est que malgré une atmosphère pessimiste et des personnalités désabusées, une authentique poésie se fait distinctement ressentir. Une poésie d’autant plus marquante qu’elle est irrévérencieuse et inhabituelle.
Une véritable bombe dans l’univers de la BD.
Les Requins Marteaux
188 pages
Caroline
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