Quatrième roman de l’écrivain polonais Wojciech Chmielarz où l’on retrouve le personnage de Jakub Mortka, aka Le Kub, La cité des rêves nous emmène tout droit dans une enquête haletante mêlant politique, médias et échelle sociale.
Au petit matin, le corps sans vie d’un jeune fille est retrouvé en plein milieu de la Cité des rêves, une résidence moderne semblant, en surface du moins, calme et tranquille. Il s’agit de celui de Zuzanna Latkowska, une étudiante en journalisme visiblement sans histoire. L’inspecteur Mortka et Anna Suchocka, dont l’assiduité et l’intransigeance lui valent le surnom de La Sèche, commencent l’enquête sur les chapeaux de roue. Dés les premières prises de témoignages, il est clair que le lotissement bien sous tout rapport cache pas mal de problèmes, allant de la crevaison de pneus entre voisins à des locataires appartenant à la mafia polonaise.
Il y a aussi ce Celtycki, ancien homme politique à présent déchu, propriétaire de nombreux appartements du coin, dont celui où vivait Zuza en compagnie d’autres jeunes étudiantes, toutes aussi élancées et sexy les unes que les autres. Immédiatement, ce personnage au sourire factice et à l’appartement puant la richesse et les pots de vin réveille les soupçon du Kub et de La Sèche, mais il se pourrait bien qu’il ne s’agisse que d’un simple fil piégé dans une toile bien plus grande et tentaculaire.
” Je ne comprenais pas tout ça. J’étais aveugle. Je n’avais même pas de quoi acheter des couches, et lui, il allait faire le con dans tout le village, mais je prenais sa défense. Je disais qu’il était fatigué, stressée, qu’il devait se reposer. Lui, de son côté, il me racontait des bobards, qu’on allait voir ce qu’on allait voir. Rien que du baratin, mais qu’est-ce qu’il savait si prendre ! Si il était assis devant vous, à battre décile, à faire des phrases, vous comprendriez tout de suite. Et vous feriez n’importe quoi pour lui. N’importe quoi. ”
“Evelina ilkiewicz qui ne l’attendait au salon. La fille de Will, un des membres de la Troïka, et dont le prénom sort mais d’un “v” absent de l’alphabet polonais. Kochak se demanda quel bureau d’État civil avait pu accepter ça, et combien ça avait pu coûter. “
Wojciech Chmielarz compose un cocktail gagnant et prenant, avec comme ingrédients des ambitions personnelles se percutant, des gangs aux mains sales, de la rancoeur historique et un soupçon de morale qui fait tout exploser. En s’appuyant sur le conflit polono-ukrainien et ses répercutions actuelles, il apporte une touche réaliste à ce roman noir et dénonce au passage la haine froide et violente qui sévit toujours.
Car d’après Svitlana, elle-même victime de ce racisme quotidien et dégradant, c’est ce qui l’aurait poussée à poignarder Zuzanna, dont le venin et les insultes l’ont atteinte une fois de trop. Mais pour Le Kub et La Sèche, il est clair que l’ukrainienne est victime d’un chantage l’obligeant à se proclamer coupable. Mais qui tire les ficelles?
Les coupables potentiels s’accumulent, les histoires s’additionnent et se mêlent, se faisant écho les unes aux autres en une grande toile de fond. On y croise des hommes ambitieux, carriéristes, prêts à tout, parfois machistes et violents, dénaturant les femmes comme de vulgaires objets: les pourris s’entrechoquent et semblent tous coupables de quelque chose.
” Svitlana avait soudain réalisé que c’était eux les Polaks, qui avaient tout bousillé. Elle s’était souvenu de sa première sortie à Przemysl. En Pologne. En 19819août 1992. Pendant le voyage, le nez contre la vitre après le passage de la frontière, à regarder défiler des bâtiments vétuste, et l’impression que ça allait bien plus mal pour les Polonais que pour eux. Les choses auraient pu être différente. L’Ukraine aurait dû être riche, et la Pologne, pauvre. Ç’aurait été aux polonaises de partir faire des ménages à l’est, et les belles ukrainiennes n’auraient plus eu qu’à les laisser ramasser les crottes de leurs chiens.
Mais eux, ils avaient tout bousillé. C’est pour ça qu’elle est haïssait.”
En parallèle à cette enquête principale, il y a également celles menées par Kochan, un collègue mis au placard auquel on a donné la tâche ingrate de se replonger dans des Cold Case impossibles. Enfin, pas si irrésolubles qu’il n’y parait puisqu’en l’espace de quelques jours, le policier parvient à en démêler trois, et pas des moindres. Ces affaires annexes rajoutent de la noirceur et de la tension à l’enquête acérée menée autour du premier meurtre, tout en laissant présager un cinquième volume.
Les personnages de Wojciech Chmielarz sont à échelle humaine: ils ont leurs défauts et leurs qualités et tentent du mieux qu’ils peuvent d’évoluer et survivre dans ce marasme bourbeux qu’est la société. En élucidant des meurtres par vocation ou en intégrant la police pour pouvoir dégommer les personnes qui le méritent. En faisant des ménages et en gardant profil bas ou bien en étant prêt à tout pour accéder au succès, quitte à tout écraser autour de sois. Les échelles sociales se bousculent et les nantis ne sont pas plus protégés que les plus pauvres.
Dans La cité des rêves, vase clos ébréché laissant s’infiltrer la boue viciée de la bêtise humaine, un meurtre à été commis. Un roman aussi froid et gris que les bas-fonds de Varsovie et implacable comme un piège qui se referme lentement sur sa victime.
Éditions Agullo
Collection Noir
Traduit du polonais par Erik Veaux
384 pages
Caroline