Secret de Polichinelle est le premier opus d’une série de roman policier mettant en scène un détective privé cassant les codes du genre. En effet, Yonatan Sagiv dépoussière les vieux polars avec son personnage principal Oded Héfer, trentenaire homosexuel s’identifiant au féminin, préférant l’improvisation et le culot à la réflexion solitaire et purement analytique que l’on y retrouve habituellement.
Dernière chance pour Oded de réussir enfin professionnellement parlant à Tel-Aviv. Il a déboursé ses derniers shekels dans l’achat internet de diplômes factices censés prouver son habilitation à mener des enquêtes privées. Il a réaménagé son studio en cabinet de fortune et misé le tout pour le tout sur sa débrouillardise et ce qu’il a appris dans les séries et les romans policiers. Si ce projet tombe à l’eau de la même manière que ceux entrepris auparavant, c’est retour à la case départ pour lui. Et il n’a aucune envie de retrouver sa chambre d’ado chez ses parents qui se lamentent sur le sort de ce fils bon à rien.
“Après une douche expéditive, j’enfile un jean gris clairs, un pull noir dissimulant ma brioche de raton-laveur, un coupe-vent noir et des Adidas montantes. Dieu merci, octobre est froid, cette année. Quel manque de classe ce serait de rencontrer ma cliente en marcel, claquettes et dégoulinant de sueur. Je m’arrête au café. Commande un Macchiato à emporter, précise au barista de remplir à ras bord le gobelet de lait. Comme ça, j’économise dans les trois shekels : j’ai un Cappuccino il ne paye que pour un Macchiato.”
Soudainement, voilà que quelqu’un pousse sa porte. Et ce n’est pas n’importe qui de surcroît! Il s’agit ni plus ni moins de Mira Tamir, une ancienne mannequin reconvertie en professeur de yoga, appartenant à l’une des plus riches familles d’Israël.
La première sensation d’euphorie face à cette cliente pleine aux as laisse très vite place à une impression de panique, car Mira vient au sujet du décès de sa soeur ainée Smadar Tamir. Il y a quelques jours, le corps de celle-ci a été retrouvé aux pieds de l’hôpital dans lequel elle était soignée. Tout tend vers la piste du suicide, mais pour la jeune yogi il s’agit d’un meurtre. Car Smadar était une véritable force de la nature, femme d’affaires à la poigne de fer, dirigeant ses employés, sa famille et sa vie avec la même intransigeance, ne laissant aucune place à l’abattement.
Face au mur et devant la promesse d’une somme rondelette lui évitant tout échec cuisant, le détective en herbe se lance tête baissée dans cette enquête qui le poussera à déterrer des secrets bien gardés… et dangereux. De plus, il n’a que cinq jours pour résoudre l’affaire, sous peine de voir sa supercherie de Sherlock Holmes au rabais dévoilée.
“Avant d’arriver à Herzliya, les nuages se dispersent, le soleil perce, et je dégouline de sueur. Je garde la Pouliche, qui proteste contre l’arrêt par un soupir bruyant. Je descends de voiture en me dirigeant vers le centre commercial Arena, bazar acier et vert aux couleurs pastel digne de Las Vegas, qui par son simulacre vulgaire et nouveau riche de la Grèce antique n’a pas peu contribué à la destruction du rivage du Proche-Orient.”
Jouant de ses contacts et surtout de sa capacité d’improvisation à toute épreuve, il use de sa répartie et de son culot pour dénicher le moindre indice. Il parvient ainsi à s’incruster à l’enterrement de Smadar Tamir et remarque alors à quelle point cette famille est dysfonctionnelle et bourrée de secrets, non-dits et rancunes. Autant de squelettes maladroitement cachés dans les placards, qu’Oded va sortir en même temps que ses propres fantômes du passé resurgissent. Imperceptiblement, il va glisser dans un jeu dangereux, mêlant son propre affect et son vécu à cette sombre histoire.
Ce premier roman de Yonatan Sagiv est bourré d’humour et de rebondissement. Son héros est une bouffée d’air frais à lui tout seul, haut en couleurs aussi bien dans son langage que dans sa manière d’appréhender la vie. Souffrant aussi bien de remarques machistes qu’homophobes, Oded Héfer parvient à s’adapter à toutes les situations sans se laisser intimider. Jouant d’un timbre masculin ou féminin selon les besoins, de charme ou de menace, il devient très rapidement attachant et ne se laisse jamais abattre.
Grâce à la plume de l’auteur, on plonge dans un Tel-Aviv trépidant, de ses bas quartiers à ses centres commerciaux de luxe, tout en côtoyant de riches magnats de l’immobiliers ne semblant pas plus épanouis que le plus miteux des faux détectives privés. Sous le vernis éclaté de la richesse et de la bonne figure, des fissures hideuses jouent à cache-cache avec des amours impossibles, donnant tout son sens au titre de ce premier opus.
“Assez, ça suffit, arrête de ruminer », me dit-il en me décochant un sourire épanoui. Je lui rends son sourire. Mentir, ça aide parfois. Qu’est-ce qu’Ofer à de commun avec ces histoires débiles ? Qu’a-t-il avoir, avec sa golf, son appartement, son argent et sa prestance, avec des sentiments comme le regret, ou la honte, ou l’humiliation, ou la haine ? Qu’est-ce que faire connaître de gens comme Noam et de ce qui leur arrive ?
Pendant le reste du trajet, nous gardons le silence. Sous cette horrible pluie, Tel-Aviv est trempé comme un chat de gouttière crotté.
J’essaye de remettre de l’ordre dans mes pensées. Méthode, classement et cellules grises. Voici les principes sacro-saints d’Hercule Poirot.”
Les Editions de L’Antilope
Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche
480 pages
Caroline