Imaginez notre monde dans un futur proche, après que la civilisation telle que nous la connaissons ait été rasée suite à l’effondrements des marchés, l’explosion des guerres et surtout… la disparition progressive puis totale des hommes. C’est le décor de Woman World, première bande-dessinée de l’autrice Aminder Dhaliwal, qui a rencontré un vif succès lors de sa publication au Canada et été nominée au passage pour de nombreux prix.
Les femmes vivent dans différentes petites communautés, explorant les décombres laissées par un XXIème siècle révolu comme autant de temples étranges et sacrés. Ainsi, un vieux Lidl devient une ruine mystique, un simple dvd du film Paul Blart une précieuse relique.
Permis les protagonistes, il y a Ulaana. C’est la doyenne du village, souvent accompagnée de sa petite-fille Emiko qui n’a jamais connu d’homme en vrai. Le devoir de mémoire de la vieille femme est important car elle a connu le monde comme il était avant et peut donc en témoigner. Mais aprè tout, est-il vraiment nécéssaire de tout transmettre ou bien ne serait-ce pas l’occasion de faire un gros trie et de partir sur de nouvelles bases? Histoire que le chaos connu par l’humanité ait servi à quelque chose et que les femmes ne s’encombrent plus des contraintes imposées du passé.
Au cœur du groupe imaginé par Aminder Dhaliwal, composé de femmes issus de différentes tranches d’âge, on suit plusieurs histoires parallèles qui parfois s’entrecroisent.
Ce sont des histoire d’amour, de découverte, de questionnement, développées sous la forme de courts strips allant d’une à trois quatre pages et pleines d’un humour mordant.
Chaque personnage possède son caractère et ses envies, se pose des questions sur sa place et son rôle à jouer dans cette lutte pour survivre.
En effet, les femmes représentées vivent leur sexualité comme elles l’entendent, il n’y a pas d’obligation ou de pression concernent les tenues, d’instinct maternel contraint: le patriarcat n’est plus mais l’avenir reste une question essentielle.
De plus, Woman World possède une portée métaphorique sur l’urgence climatique que nous vivons actuellement, en proposant un futur découlant de catastrophes écologiques où Dame Nature semble punir l’humanité de manière plutôt ironique.
L’autrice puise dans les références de la pop culture moderne et imagine comment elles pourraient être perçues et comprises par les générations futures, créant des situations comiques parfois assez rocambolesques: par exemple, une usine de godemichets devient « une ancienne usine d’androïdes mâles par laquelle l’humanité a tenter de se perpétuer à travers des robots ».
De plus, comme les représentations masculines ont presque toutes disparues, les hommes sont devenu des bêtes curieuses dont on étudie les mœurs bizarres, comme on ferait face à un vieux fossile ou bien un squelette de dinosaure. C’est ainsi qu’une chemise est analysée avec minutie: son motif à carreaux était sans doute prévu pour se camoufler dans la jungle urbaine et son col rigide servait sûrement à protéger les « petites boules de gorge » de leurs porteurs.
Le trait simple et la narration fluide d’ Aminder Dhaliwal permettent de vite s’attacher aux différents personnages de cet album tout en cernant leurs personnalités et leurs envies. Très inclusif (il y a des femmes de tout âge, de différentes ethnies, morphologies, handicapées ou non), il parle avec beaucoup d’humour de la vie en groupe et de la reconstruction personnelle et commune sur les décombres d’un modèle vieux de plusieurs millènaires: le patriarcat.
Sans jamais être moralisatrice ni ennuyeuse, Woman World est une BD réussie qui fait rire autant qu’elle interroge.
Éditions La ville brûle
Traduit de l’anglais (Canada) par Clémentine Beauvais
256 pages
Caroline