Ces 3 dernières années, Johann G.Louis (Shelley, après l’autruche tournez à droite) les a passées en compagnie de Fréhel. Du réveil au coucher, il s’est adonné à des recherches autour de cette emblématique chanteuse du Paris de la Belle Époque, tout en s’imprégnant de sa voix si particulière qui lui avait valu le surnom de Pervenche. L’aboutissement de ce travail de recherches et de retranscription est un roman graphique tout à la fois humble et majestueux, à l’image même de son sujet.
1891, Paris, naissance de Marguerite Boulc’h, d’un père employé des chemins de fer et d’une mère cuisinière tout deux bien démunis devant ce nourrisson dont ils ne savent pas trop quoi faire. C’est donc tout bébé qu’elle va être envoyée chez sa grand-mère maternelle en plein cœur des landes bretonnes, où elle grandira à la fois dans la solitude et l’amour jusqu’à ses 3 ans, âge auquel sa mère viendra subitement la chercher.
Voilà que la petite Marguerite passe d’un quotidien bercé par la compagnie muette des animaux et la tendresse de sa grand-mère à celui grouillant de l’activité parisienne et de l’ignorance de ses parents. Livrée à elle-même, elle arpente les rues, poussant la chansonnette et n’hésitant pas à se donner en spectacle, que ce soit accompagnée d’un orgue de barbarie ou seule sur une table de bistrot.
Les rencontres fortuites, heureuses ou tragiques, ainsi que le hasard font que peu à peu elle se fait connaître dans le quartier, puis commence à se produire sur scène. Elle foule les planches de l’Univers, de la Taverne de l’Opéra et du Moulin Rouge, connue tout d’abord sous le surnom de Pervenche. Elle se fait par la suite appelée Fréhel en honneur à ses origines bretonnes et aux landes, qui restent pour elle l’un des meilleurs souvenirs de sa vie.
Fréhel est connue pour sa voix bien sûr, mais aussi pour son franc-parler, sa témérité frôlant l’insolence candide et son caractère tempêtueux. Pas timide pour un sous, elle n’hésite jamais à donner de la voix, lever la jambe pour se lancer dans la danse, quitte à choquer les gens bien comme il faut. Après une enfance livrée à elle-même, elle se revendique libre de vivre sa vie comme elle l’entend, au rythme amoureusement mélancolique de ses chansons.
Elle connaîtra le Paris des Années Folles, croisera Colette, deviendra la protégée de La Belle Otero, tombera amoureuse de Maurice Chevalier et jouera aux côtés de Jean Gabin. Elle voyagera en Europe de l’Est à peine âgée de 20 ans et connaîtra les paradis artificiels de l’éther, l’alcool et de la cocaïne qui lui colleront bien longtemps à la peau.
Johann G.Louis parvient à redonner vie à Fréhel, sans tomber dans la bande-dessinée documentée à grand renfort de photographies et coupures de presses à tout va. Il la laisse s’exprimer à travers ses chansons et sa vie, qu’elle raconte elle-même à différents auditeurs: sa jeune voisine, un habitué du bar, son chat Catsou… Elle confie ses déboires amoureux, son trop grand cœur qui lui a valu bien des peines, son petit garçon qu’elle n’aura pas le temps de connaître, la frénésie du Music Hall… Bref, sa vie d’artiste et de femme à la fois passée dans la solitude et sous les feux des projecteurs.
On sent l’attachement que l’auteur possède pour cette bretonne de Paris; son trait toujours aussi fin, à la fois discret et spontané, est cette fois agrémenté d’aquarelles où Fréhel, souvent vêtue de teintes chaudes et à la chevelure rousse, illumine et enflamme la grisaille et les médisances qui l’entourent.
Une fois ce livre refermé, les paroles de La Java bleue, Si tu n’étais pas là ou encore Tel qu’il est résonnent à nos oreilles. Johann G.Louis rend un très bel hommage vibrant et touchant à la grande et pourtant si sensible Fréhel.
Nada Editions
288 pages
Caroline