Quatrième texte de Pierre Terzian, Ça fait longtemps qu’on s’est jamais connu, condense deux cents journées de travail, et dresse un portrait doux-amer du milieu des garderies de Montréal.
Pierre, écrivain expatrié au Québec et marié à une québécoise, se retrouve, dans l’attente de l’obtention d’une bourse, à devoir chercher un job alimentaire. N’ayant pas de formation dans le domaine et se retrouvant à s’imposer l’apprentissage par la pratique, l’auteur revient sur ce parcours atypique et qui lui aura inspiré ce texte. À travers une galerie de portraits, de situations, et de citations empruntées à des enfants, Pierre Terzian déploie avec humour et tendresse l’univers, ô combien cocasse et particulier, des garderies.
« Pierre-Alain est un enfant effrayant. Un front à la Frankenstein. Des oreilles panneaux solaires. Dire bonjour ne fait pas partie de ses aptitudes. Il me pointe du doigt et me lance, frénétique :
– parce que t’es jaloux !
Il faut apprendre à connaître Pierre-Alain. »
Un exercice d’autofiction drôle et mordant qui, au-delà de l’exercice littéraire pur, devient un texte foisonnant et à tiroirs. Alternant les journées, anecdotes et citations, le lecteur prend petit à petit possession des lieux, des ambiances et des personnages, pour se retrouver cueilli et touché au détour d’une page.
Mais au-delà du simple texte, Pierre Terzian apporte un regard quasiment sociologique et anthropologique sur ce monde fonctionnant quasiment en vase clos et ayant ses codes et rituels spécifiques. Dès lors, il devient le reflet d’une société qui ne gère plus ses enfants, mais les délaisses pour pouvoir exploiter des parents toujours plus absents.
Et c’est peut-être ce qui frappe le plus ici, car Pierre Terzian, arrive par petite touche et toujours avec une pointe d’humour, voir de cynisme, à décortiquer, analyser et restituer un milieu sclérosé par un gouvernement absentéiste, et un engagement sans limite des professionnels. Un contraste qui peut paraître dur et touchant par moments, mais souvent contre balancé avec humour et tendresse par les citations et anecdotes des enfants. Ce qui fait que le texte ne tombe jamais dans un pathos vulgaire, mais garde toujours cette intelligence et cette douceur pour offrir un regard autant pertinent que drôle.
« Des enfants qui ne savent pas jouer. Comme amputés de cette dimension de la vie. Parfois ce sont des groupes entiers. À Outremont, j’ai l’impression d’entrer dans un stage de perfectionnement en comptabilité. Je déclare « Jeux libres ! » , ce qui normalement, déclenche des jets d’objets en tout genre et des sautillements de bouquetins ; là, c’est le calme plat, des petits corps soucieux qui se dirigent vers le meuble à puzzles et finissent par se rendre compte qu’ils les ont tous déjà faits.
– We need more puzzles, Pierre. »
Une lecture autant rafraîchissante que touchante, un texte qui se lit et relit avec un plaisir non feint. “Ça fait longtemps qu’on s’est jamais connu” est une belle surprise, un objet littéraire intéressant et riche, un texte passionnant.
Quidam Éditions,
240 pages,
Ted.